Peut-on improviser la prévention des violences sexuelles ? Ou doit-elle nécessairement être cadrée ? Structurée ? Systématisée ? Doit-on nécessairement dire certains mots ? En bannir d’autres ? Doit-on improviser une discussion avec son enfant sur les violences sexuelles ?
Si la question peut sembler choquante du fait du sujet sur lequel porte le risque ou le danger dont il s’agit de prévenir, en pratique, la réalité est toute autre.
Combien de parents s’interrogent réellement sur les modalités de ce que serait une « bonne » prévention des violences sexuelles afin d’aider efficacement leur enfant à s’auto-protéger, à dénoncer des attitudes d’adultes ou d’autres enfants qui pourraient lui nuire ou lui nuisent ? Combien de parents abordent cette question au sein de leur couple ? En discutent avec d’autres parents ? Se documentent ? En parlent en famille ? Avec leur nourrice ? Avec les enseignants de leur enfant ? Se demandent comment nommer les parties sexuelles de leur enfant ? Questionnent leur propre vécu et expériences de vie ?Remettent en question leur conduite, changent leur geste avec leur propre enfant afin de renforcer leur exemplarité dans le respect qu’ils doivent à l’intégrité physique de leur enfant ?
Il n’est pas simple de trouver réponses à ces questions. Et, conséquence directe de cela, c’est souvent de manière improvisée que la prévention des violences sexuelles s’installent dans les familles.
Des parents qui ne nomment les parties sexuelles de leur enfant qu’avec des petits noms par eux inventés. Une mère, voyant sa fillette devenir une adolescente, qui ose en parler à un moment où celle-ci n’est pas réceptive et ne peut l’entendre. Une grand-mère qui raconte son vécu à sa petite fille, trop jeune pour comprendre une histoire difficilement racontée. Des parents qui n’osent même pas aborder le sujet, ni parler de sexualité, ou ne souhaitent pas en parler. Après tout, c’est le rôle de l’école.
Ce sont ces situations que l’on rencontre en pratique et qui ont pour conséquence une incapacité des enfants non seulement à dénoncer ce qu’ils ont vécu mais plus encore à prendre conscience de la réalité des violences qu’on leur a imposées et à comprendre que de telles conduites envers eux sont strictement interdites.
Bien souvent, ce sont aussi ces situations qui ont pour conséquence une méconnaissance par les enfants de leur propre anatomie et de celle du sexe opposé.
Bien trop souvent, ce sont ces situations qui ont pour conséquence une difficulté pour l’enfant à identifier ce qu’est une sexualité saine et respectueuse.
Alors, mieux vaut-il une mauvaise prévention que pas de prévention du tout ?
Certainement que oui. Car, alors, le parent prévenant aura osé dire à son enfant qu’il existe des limites aux actes des adultes, des autres enfants, que chacun doit être respecté et notamment dans son intégrité corporelle et que si ce n’est pas ou cela n’a pas été le cas, c’est qu’il.elle aura été victime d’une agression, que cette violence est interdite par la loi et que l’enfant peut venir en parler à ce parent bienveillant.
Autre question consécutive à la première : y a-t-il un bon moment pour prévenir les violences sexuelles ? Un âge ? Doit-on d’abord parler de sexualité à son enfant avant d’aborder la question des violences sexuelles ?
Ainsi que l’explique Jocelyne Robert dans son ouvrage Te laisse pas faire ! Les abus sexuels expliqués aux enfants, l’éducation sexuelle est un préalable.
« Une prémisse : l’enfant doit être franchement renseigné sur la nature de la sexualité, sur l’anatomie comparée des sexes, sur la fabrication des bébés, mais aussi sur les notions de plaisir et de désir qui s’y rattachent. Il saura ainsi faire la différence entre un comportement sexuel sain et un comportement sexuel déviant. De plus, l’enfant dénué de vocabulaire sexuel ne pourrait décrire la sollicitation dont il a été l’objet ou l’abus dont il a été victime. Quand et comment l’instruire des composantes heureuses ou malheureuses de la sexualité ? Très tôt, en profitant des moments favorables à la transmission de ce type d’informations. Expliquer des choses à l’enfant ne risque jamais de le perturber ; silence et mystère sont, en revanche, beaucoup plus angoissants« .
Mais alors, que faire si jusqu’alors vous n’avez pas osé en parler à votre enfant ? Qu’il. elle est pré-adolescent.e ou adolescente et que jusque là, la question n’a jamais été abordée ?
Oser choisir un moment dédié à une première discussion.
Pour cela, vous pouvez vous aider de l’actualité. Dire que vous avez entendu parler d’une histoire dans laquelle une enfant a été victime d’un viol et que vous avez pris conscience de l’importance d’oser en parler. Dire que vous avez lu un article sur le sujet que cela vous a donné du courage pour en parler. Que jusque là, cela vous paraissait compliqué, que vous n’aviez pas les mots. Mais que c’est très important.
Votre enfant doit savoir qu’il. elle sera soutenu.e si jamais il. elle est victime.
A la pré-adolescence ou à l’adolescence, votre enfant aura déjà certainement entendu parler de situations de violences sexuelles : insultes à caractère sexuel, harcèlement sexuel dans la cour de récréation, agression sexuelle dans un couloir au collège ou au lycée, rumeurs concernant les conduites d’une jeune fille, blagues salaces, intimidation d’une copine par un garçon etc. La peur de trop en dire ou de dire ce qu’il ne faut pas ou ne faudrait pas doivent être laissés sur le paillasson afin d’ouvrir la porte à : « mon enfant, je te protège des violences sexuelles en t’en parlant ».
Votre enfant doit savoir qu’il.elle peut avoir confiance en vous, que vous le.la respectez dans tout ce qu’il.elle est et que pour ces raisons et du fait de l’affection que vous lui portez, vous voulez un peu plus encore le.la protéger.
Alors, de la même façon que vous avez pu l’accompagner jusque là, dans les étapes de son développement, face à des situations auxquelles il était difficile de répondre, dans des moments où vous étiez peut être fatigué.e, très occupé.e mais malgré tout concerné.e, vous allez trouver cette force pour oser en parler.
Lors d’une récente étude réalisée par le Collectif féministe contre le viol sur les appels des mineures victimes, mineures qui ont appelé, seules et sans personne à leur côté, le numéro vert Viols Femmes Informations 0.800.05.95.95, il a été constaté que :
–91% des mineures victimes appelantes étaient des filles
–98% des agresseurs de ces mineures étaient des hommes
–74 % des agresseurs hommes étaient des majeurs et, que
–85% des mineures victimes connaissent leurs agresseurs.
Chiffres présentés lors des 30 ans du Collectif féministe contre le viol – Colloque du 13 octobre 2016.
Face à cette réalité, comment pourriez-vous imaginer laisser seul.e, sans information et protection, rien qu’un instant votre enfant, face à un potentiel agresseur adulte de son entourage ? Si cette réalité fait froid dans le dos, c’est pourtant celle qui existe aujourd’hui.
Plus de 50 000 témoignages ont été reçus et enregistrés en 30 ans au Collectif féministe contre le viol. Dans 62.7% des situations, les agressions relatées par les victimes ont lieu quand elles sont mineures :
- 50% des victimes ont été agressées avant l’âge de 15 ans. Il y a 10 fois plus de filles que de garçons.
- l’agresseur était le plus souvent un membre de l’entourage intra-familial (père, frère, oncle, beau-père, grand-père) ou para-familial.
Les conséquences de ces violences sexuelles subies dans l’enfance sont d’autant plus graves que l’enfant n’aura pas pu parler, n’aura pas été protégé.e, n’aura pas été informé.e et ainsi n’aura pu révéler à un adulte-parent-bienveillant ce dont il.elle aura été victime. Blocage scolaire, tentative de suicide, anorexie, dépression, drogue, prostitution, hypersexualisation sont autant de conséquences dramatiques de ces violences, mises bien trop souvent sur le dos du « passage de l’adolescence ».
Si ces dernières années des lois ont tenté de donner des signaux forts à la société civile sur l’importance de protéger les enfants et de leur protection effective par la loi : allongement des délais de prescription pour déposer plainte jusqu’à la veille de ses 38 ans lorsque l’on a été victime dans l’enfance de violences sexuelles, nouvelle loi sur la protection de l’enfance, réintroduction de l’inceste dans le code pénal, loi relative à la lutte contre le système prostitutionnel, insertion dans le code pénal d’un article 226-2-1 luttant activement contre le revenge-porn (le partage et de la diffusion d’images à caractère sexuel d’une personne sans son consentement), il importe de mesurer à quel point à son échelle, à son propre niveau, oser parler avec son enfant renforcera sa capacité, toute sa vie durant, à se protéger et aussi à dénoncer de tels actes dont il.elle pourrait être victime ainsi que plus globalement à rendre notre société moins violente.
D’ailleurs, le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes dans son avis publié le 5 octobre 2016 Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles recommande, premièrement, de lancer la première campagne de sensibilisation gouvernementale contre les agressions sexuelles, en particulier le viol, afin de faire baisser la tolérance sociale face à de tels crimes.
Il est donc plus que jamais le moment pour vous, pour nous, d’oser prévenir dans vos, nos familles des risques que courent les enfants face aux agresseurs sexuels et cela, à tout âge de l’enfant.
Aller plus loin :
- les conséquences des violences sexuelles sur la vie des enfants
- la vidéo dans la tête des enfants, victimes de violences sexuelles
- le site de Jocelyne Robert et ses publications à destination des enfants
- les conseils du Dr Salmona pour prévenir les enfants des violences sexuelles
- la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique
- le programme du Collectif féministe contre viol à l’occasion du colloque de ses 30 ans d’actions
- le site du Haut Conseil à l’Egalité
- le communiqué de presse du Haut Conseil à l’Egalité du 5 octobre 2016 présentant l’avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles