Réfléchir ensemble

Développons le langage de la prévention des violences sexuelles

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Dans un précédent article intitulé « le langage de la prévention des violences sexuelles » nous expliquions l’importance d’utiliser un vocabulaire précis non seulement pour identifier qui a agressé mais également pour expliquer qu’elle a été l’agression subie par la victime.

Cette nécessité vise à permettre de soutenir la victime et non l’agresseur qui est le seul responsable des violences qu’il a commis.

Bien trop souvent, le langage use d’euphémismes pour désigner l’horreur dans laquelle la victime a été jetée.

Bien trop souvent, les titres de presse viennent consolider l’inconscience populaire du drame qu’a subi la victime ou plutôt l’absence de regard populaire empathique et bienveillant sur la victime de l’agression.

Et, conséquence directe de cette absence de soutien à la victime : la culture du viol n’est pas anéantie. Or, cette culture est non seulement dévastatrice pour notre société mais aussi pour l’avenir de nos enfants.

Ainsi que l’explique Jocelyne Robert « on n’agresse pas une femme parce qu’on est fou d’elle ou parce qu’on a une libido d’enfer. On agresse une femme parce qu’on est aveuglé par son propre pouvoir, et qu’on considère la femme comme un objet à assujettir à ce pouvoir. La culture du viol est un concept établissant des liens entre la violence, le harcèlement, les agressions sexuelles avec la culture de la société où ces crimes se commettent. Elle documente et décrit un environnement social et médiatique dans lequel les violences sexuelles trouvent des justifications et des excuses pour être tues, banalisées, ridiculisées, moquées, tolérées, voire acceptées. »

Plusieurs autrices ont pourtant tenté de nous interpeller sur la nécessité d’adapter le vocabulaire, notre langage tout entier afin qu’il ne banalise pas les violences sexuelles, afin qu’il reconnaisse le sexisme et qu’il fasse honte aux agresseurs et non aux victimes.

Devant le Collège de France, en 1999, Michèle Causse nous interpellait sur l’androlecte. Présentant ses oeuvres et, en particulier, son essai Contre le sexage, elle nous rappelait que « le dictionnaire crée et entérine la vision androcentrée du monde et qu’il est, en fait, le lieu de contention maximale, le lieu fondateur de la hiérarchie dite « différence des sexes », bref, un texte répressif et prescriptif. »

Plus récemment, dans un ouvrage paru en 2008, Le miso mis à nu, Françoise Leclère nous demande « la pensée s’articulant en mots, les mots étant définis par le dictionnaire, pouvons-nous penser autrement qu’avec les mots du dictionnaire ? » A cette question, la réponse est complexe et c’est ainsi qu’en disséquant les définitions proposées par le dictionnaire Le Petit Robert de 2005, l’autrice nous confirme que « le dictionnaire, prétendu neutre, s’avère, avec un peu d’attention, violemment sexiste« .

Or, si les vocabulaires juridiques existent, le droit, avant que d’être dans sa fonction régulatrice des rapports sociaux notamment au travers des règles édictées en droit pénal, est façonné par ces mêmes mots tirés des dictionnaires. On renvoie sur ce point au projet de recherche Régine lequel a tenté dans ses différents axes de recherche de mettre en lumière le sexisme opérant au sein du vocabulaire juridique.

Alors, comment ne pas prêter une oreille attentive aux mots employés lorsque l’on parle des violences sexuelles ? Comment et pourquoi ne pas désamorcer ce langage miné ?

L’inceste

Si la définition de l’inceste, réintroduit dans le code pénal depuis peu, a officialisé les expressions « viols incestueux » et « agressions sexuelles incestueuses » pour autant, ces expressions sont encore trop rarement employées.

Les médias n’osent visiblement pas suffisamment nommer le pire : les violences sexuelles commises envers les enfants. Pourtant, celles-ci existent.

Pire, encore, plusieurs expressions tirées de la langue anglaise s’immiscent désormais dans la langue française pour désigner certaines violences sexuelles ; accentuant par la même au sein de la langue française l’atténuation des conséquences des violences sexuelles subies et participant directement à conforter l’impunité des agresseurs.

Le revenge-porn

Le 7 octobre dernier, le Président de la République a promulgué la loi pour une République numérique laquelle a créé un nouveau délit, le délit de « revenge porn ». C’est ainsi que les médias le désignent.

L’article 226-2-1 alinéa 2 du code pénal dispose ainsi désormais que : « est puni des mêmes peines le fait, en l’absence d’accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même, à l’aide de l’un des actes prévus à l’article 226-1. »

Est donc désormais réprimée l’agression sexuelle par diffusion d’images sexuelles personnelles. Il s’agit d’une nouvelle infraction qui élargit la catégorie des agressions sexuelles.

Or, face au vocable « délit de revenge porn » utiliser une expression tirée de la loi « j’ai été victime d’une agression sexuelle, la diffusion de mes images sexuelles personnelles » permet non seulement de caractériser les violences sexuelles dont a été victime la personne mais plus encore de prévenir ces dites violences.

Dire à tous : il est désormais interdit à quiconque de diffuser les images sexuelles personnelles d’autrui est un message d’interdiction et donc de prévention beaucoup plus clair et efficace que de dire, « le revenge porn est interdit ». Car aussitôt, dans l’esprit de la personne, avec cette expression s’opère une recherche d’une définition à la française de cet interdit.

Au surplus, pour ceux, anglophones, qui comprennent cette expression, la référence à l’interdiction de l’usage de la pornographie, lorsque celle-ci est revancharde signifierait qu’elle est licite lorsqu’elle ne l’est pas. Or, la pornographie est, avant tout, une violence sexuelle tarifée, conservée pour être diffusée.

De la même manière, d’autres délits sexuels, violences sexuelles interdites par le droit français devraient posséder leur propre terminologie à la française.

Le happy slapping

Le « happy slapping » est le terme utilisé aussi en français et par le ministère de l’intérieur pour désigner la pratique qui consiste à filmer à l’aide de son téléphone portable, une scène de violence subie par une personne dans le but de diffuser la vidéo sur internet et les réseaux sociaux.

Or, plutôt que de parler de « happy slapping » dont le terme « happy » en français renvoie nécessairement à quelque chose de bon ou de bien et qui rend heureux, nous devrions préférer l’expression : agression filmée.

Ainsi, pourrions-nous dire en guise de message de prévention : toute agression filmée est strictement interdite et sa diffusion est lourdement sanctionnée.

Le slut-shaming

Ce terme, qui ne fait pas consensus, désigne toutes les violences verbales et psychologiques à caractère sexuel dont sont victimes les femmes. Ces violences peuvent prendre la forme du harcèlement sexuel mais aussi de l’humiliation verbale à l’encontre de femmes victimes de viols ou d’agressions sexuelles.

Là aussi, utiliser cette expression dans la langue française revient à minimiser les violences sexuelles dont sont victimes les femmes ; cette expression rend ces violences imprécises. Et, au surplus, cette expression accentue la culture du viol en ne pointant pas du doigt les auteurs des violences sexuelles mais les victimes.

La prévention des violences sexuelles doit nécessairement, pour être efficiente, induire la construction d’un nouveau langage et y compris dans la désignation des violences sexuelles elles-même, non seulement d’un langage non sexiste mais encore qui pointe précisément du doigt l’agresseur, le prédateur, le violeur, seul fautif et responsable des violences qu’il fait subir ou encore a minima de manière précise les actes d’agression.

Poser des interdits clairs à l’aide d’un langage clair et simple et d’une terminologie compréhensible par tous permet d’organiser et de structurer d’une manière plus efficace les rapports entre individus au sein de la société dès lors que tous ne bénéficient/bénéficieront pas d’une éducation bienveillante.

Seuls des mots adaptés permettent de poser ce cadre indispensable dans lequel chacun doit/devra agir avec respect envers quiconque.

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