Un jour, il y a très longtemps, j’ai été victime comme toi. J’ai ressenti cette part immense de tristesse m’ensevelir comme si je ne pourrais jamais y réchapper.
Comme toi, je n’étais plus moi. Ils m’avaient pris cette part d’innocence et de joie qui faisait de mon cœur un soleil d’enfant.
Ensuite, comme toi, ce furent de longues journées à attendre, à attendre de grandir ; en mal d’un amour suffisamment puissant pour qu’il bascule tout sur son passage, les roches de désespoir, les vagues d’amertume, l’écume de mes larmes, le chagrin de mon corps, la solitude de mon cœur.
Et puis, il y eu des rencontres, un souffle léger de liberté lorsque l’on se sent un peu moins enfant et le goût de la peur de rien qui me saisissaient de temps en temps.
Les blessures restaient gravées, toujours en moi comme le menhir sur la tombe mais poussaient juste à côté quelques fleurs qui, le temps d’un printemps ou des beaux jours de l’été, m’aidaient à refleurir.
On me disait parfois folle, parfois glaciale.
Deux parties en moi s’affrontaient, toujours, et presque à chaque instant. La plupart du temps, je survolais les jours de ma vie comme un insecte traverse un champ et d’autres, je voulais tuer la terre entière.
Cela bouillonnait tellement en moi qu’il me fallait trouver n’importe quoi pour me frapper le cœur d’un si grand coup que les traces laissées de ces violences nouvelles apaiseraient enfin mon âme, perdue, seule, froide, mourante.
Alors, je fermais les yeux.
Je donnais mon corps, m’échappais de là, je trinquais pour des regards, j’oubliais la tempête dans ma tête et me laissais croire à l’amitié, à l’amour, à tout ce qui venait à moi, désarmée, sans crainte et cela ajoutait à ma souffrance et décuplait ma peine sans que je ne puisse briser ce cercle d’aller et viens, de montagnes à gravir et de vallées à retrouver dans lesquelles j’étais enlisée.
Stress post-traumatique dit-on. Allez tous vous faire foutre !
Comme toi, j’avais besoin d’être entendue, réentendue, consolée, reconnue, aimée, choyée, réchauffée, adoptée.
Comme toi, j’avais besoin que la planète entière, quiconque je croise, m’offre une douce caresse sur la joue, un sourire bienveillant, un regard complice, un geste de tendresse, un mot apaisant.
Car, comme toi, au fond de moi, rien n’était jamais apaisé, adouci, lent et calme. Rien.
Le bouillonnement des violences sexuelles que j’avais subies me faisait m’oublier.
J’oubliais de prendre mon temps.
J’oubliais de prendre soin de mon corps.
J’oubliais de bien manger.
J’oubliais de dormir.
J’oubliais d’être pour mieux paraître l’être que j’aurais aimé être, comme un avant-illusion et un et-si, jamais conquis.
Et puis, vint le moment, le bon moment. Le temps avait fait son chemin, parfois plus court parfois trop long.
Vint le moment où il fallut regarder en face, que tout n’était pas noir ou blanc, que tout était mouvant, que mes émotions me traversaient sans cesse les unes après les autres et qu’au milieu de toutes était aussi la joie.
Il me fallut me remettre face à moi-même, me re-responsabiliser, me re-donner naissance, me re-dire que j’existais, que le sang coulait bien dans mes veines, que mon corps n’était que mien, que mon cœur pouvait m’aimer.
Lorsque je rencontrais Amélie, elle m’écrivit, elle aussi, une lettre qui me frappa le cœur, celle qui te fait te dire que c’est dans l’ici et maintenant, au cœur de toi, que tu es chez toi.
Et, qu’importe la violence passée, présente ou future, ce qui compte c’est ce que tu décides d’être maintenant.
« On ne sait pas ce qu’on attend. Ce serait tellement simple de voir la vie en noir, la vie en rose. Mais les jours ne se suivent pas, ne se ressemblent pas.
Combien de temps perdu ? Aucun.
Combien de certitudes ? Pas.
Comment sort-on de la coquille ? Fragile » disent Philippe et Martine Delerm.
Mais, la fragilité n’est pas la faiblesse.
La force de ton souffle sera toujours celle qui te permet l’inspiration prochaine et ton pas après l’autre fait de toi la partie du tout sans qui rien ne serait possible.
Tu es pour lire ceci.
Tu es pour ressentir notre amitié.
Tu es pour être aimée.
Tu es.
Ton amie qui t’accompagne.
Si vous sentez que cette lettre ou l’un de ses morceaux peut apporter ne serait-ce qu’un sourire à une personne qui compte pour vous et pour qui la traversée est difficile, n’hésitez pas. Prenez un joli papier à lettre et écrivez lui cette lettre, l’un de ses morceaux ou tout autre chose qui puisse la ou le soutenir.