Depuis plusieurs années maintenant, nombre d’associations dont l’AIVI, se battent pour faire reconnaître l’inceste comme étant un crime.
C’est ainsi que le mot même d’inceste s’est trouvé inscrit puis retiré puis réinscrit dans le droit pénal français. Pour autant, la logique juridique pénale française est restée implacable : les enfants victimes d’inceste ne sont comme toutes les victime de viols que des témoins lors de leur procès.
Ce qui est jugé, c’est l’atteinte à la société. Pour certains d’entre eux.elles, les viols subis seront correctionnalisés, niés et jugés devant un tribunal correctionnel. Pour d’autres, il y aura peut être l’ouverture d’une cour d’assises où il faudra démontrer que « non, je n’étais pas consentant.e aux viols que papa, papy ou tonton m’imposaient », même si alors j’avais 5 ans, 8 ans, 11 ans, 14 ans ou 16 ans. Violé.es par vos cousins, ces crimes ne sont jamais qualifiés d’inceste. Devant la loi ce n’est pas de l’inceste. C’est d’ailleurs pourquoi le Sénat a lancé un appel à témoignages pour comprendre ce que sont vraiment les viols commis par les cousins.
Mais, revenons dans notre procès en cour d’assises. Si par le jeu des mots du droit, papa ou papy ou tonton ne sont pas reconnus coupables, vous n’aurez pas le droit de faire appel. Cette chance de faire réviser le procès ne sera offerte qu’au ministère public qui représente la société. Car, ce qui est jugé n’est pas directement le crime sur votre corps d’enfant mais le crime contre la société au travers de votre corps.
Et puis, si par l’effet de la contrainte des mots du droit, vous aurez réussi à tenir bon lors du procès, que les experts étaient bons, que votre avocat.e n’a rien lâché face à la défense et à ses stratégies, alors, peut être que papa ou papy ou tonton seront reconnus coupables.
Cependant, les choses ne s’arrêteront pas là, eux pourront immédiatement faire appel de leur condamnation. Alors un nouveau procès en assises s’ouvrira, mais pas avant plusieurs mois.
Il faudra attendre, un long délai et tout recommencer à zéro.
Si le jugement est confirmé en appel, papa, papy ou tonton pourront aussi former un pourvoi en cassation. Et, lors de ce pourvoi, ils pourront soulever une question prioritaire de constitutionnalité afin de vérifier que la loi sur laquelle le jugement s’est appuyé pour les condamner respectait bien les dispositions de notre Constitution ou encore celles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Alors, après que le Conseil constitutionnel ait rendu sa décision, il renverra l’affaire devant la Cour de cassation qui tranchera. La Cour pourra confirmer ou infirmer la décision pour laquelle le pourvoi a été formé et renvoyer de nouveau en cour d’assises pour que l’arrêt en droit produise des effets de faits.
Le temps aura passé, vous aurez grandi, vous aurez vécu, mais tout ceci aura duré longtemps.
Pourquoi ?
Car, le droit pénal français est frileux en matière de protection des enfants contre l’inceste, car l’enfant victime d’inceste ne possède pas de statut juridique, car l’enfant victime d’inceste doit prouver qu’il.elle n’était pas consentant à l’inceste. Et, que le système médico-judiciaire peine à évoluer pour recueillir sa parole, y donner des effets, la soutenir et la prendre en charge.
Cette petite histoire qui vient d’être décrite se renouvelle pourtant souvent.
Les stratégies de défense mises au point par les avocats de la défense sont bien rodées. Si vous êtes un violeur et que vous avez reconnu les faits, niez-les ensuite. Car le temps se sera écoulé, l’enfant se sera peut être épuisé, n’aura pas eu beaucoup de soutien, n’aura pas eu de prise en charge suivi, sur le long terme. Ce sera alors parole contre parole ; peu de preuves pour conforter les dires de l’enfant. Votre avocat en bon utilisateur des mots du droit, n’aura pas à faire émerger la vérité, il n’aura qu’à emporter l’adhésion, montrer qu’il a raison pour que le procès tourne en votre faveur. Il ne laissera rien échapper, scrutera attentivement la procédure pénale pour y trouver n’importe quelle faille, puis usera de tous les leviers à sa disposition : appel, pourvoi, question prioritaire de constitutionnalité etc. La présomption d’innocence. Magie !
Sauf que les viols, eux, ont bien été commis et que vous êtes un violeur. De surcroît d’un.e enfant qui ne savait pas ce qui lui arrivait, qui n’était pas en mesure de le comprendre ; mais qui grandit avec un marqueur ADN au fond de lui qui a gravé ces violences sexuelles subies. Il.elle peut aussi avoir oublié un temps les viols incestueux, les avoir mis de côté. C’est l’amnésie traumatique pour sauver du pire subi. Mais, là aussi faut-il encore que sa parole soit admise malgré le temps écoulé. La prescription, la belle arme pour faire oublier les violences du côté des agresseurs, véritable processus de privation de la parole des enfants victimes de l’autre. L’incessant ballet du judiciaire au monde scientifique ; encore un moyen de défense : la prise en compte de l’amnésie traumatique serait un « risque » en matière judiciaire donc il ne faudrait pas l’admettre. Dans ce monde du droit, tout devient argument et même les pires pseudo-théories : la théorie des faux-souvenirs, le syndrome d’aliénation parentale sont autant de non-sens à l’enjeu de justice, qui l’espère-t-on malgré tous ces mots, se cache encore quelque part dans le système judiciaire.
Alors, quoi penser de tout ceci ? Et bien, la réponse a été apportée cet été par le Conseil constitutionnel lui-même lors de sa décision 2017-645 du 21 juillet 2017.
La petite histoire remonte à 1982, année durant laquelle une petite fille de 6 ans a été victime d’attouchements de la part de son beau-père Gérard, qui l’a ensuite violée à plusieurs reprises à partir de ses 14 ans. En 2006, la fillette devenue majeure, trouve le courage de porter plainte. Ses mots entendus la mènent jusque devant la cour d’assises de la Nièvre. Le huis-clos a été demandé par la toute jeune femme et on comprend pourquoi.
Nous sommes en octobre 2015, et après quatre jours de procès, Gérard est reconnu coupable de viols aggravés sur mineure de moins de 15 ans, entendez viols incestueux durant plusieurs années, à plusieurs reprises sur sa belle-fille qui avait moins de 15 ans. Il est condamné à 10 ans de réclusion et 1 euro de dédommagement symbolique. Oui, mais voilà, entre temps, et après avoir reconnu les faits, Gérard change d’avocat. Il nie à présent les faits. Son avocat l’invite à faire appel du jugement, la logique de la présomption d’innocence se met en route, de la stratégie pour violenter sexuellement une enfant, on passe à la stratégie pour se défendre des actes commis.
Octobre 2016, le procès en appel s’ouvre. La cour d’assises confirme la culpabilité de Gérard ; il écope d’un an de prison en plus, 11 ans de réclusion (source : Le Berry Républicain, 5 octobre 2016, p. 4). Alors, il se pourvoit en cassation et soulève devant la Cour une question prioritaire de constitutionnalité.
Mai 2017, la Cour rend sa décision et renvoie vers le Conseil constitutionnel.
Le 21 juillet 2017, le Conseil constitutionnel rend à son tour sa décision. Le Conseil doit se prononcer sur la question de savoir si le troisième alinéa de l’article 306 du code de procédure pénale est conforme à la Constitution.
Le troisième alinéa de l’article 306 du CPP dispose : « Lorsque les poursuites sont exercées du chef de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles, de traite des êtres humains ou de proxénétisme aggravé, réprimé par les articles 225-7 à 225-9 du code pénal, le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, le huis clos ne peut être ordonné que si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles ne s’y oppose pas.
Voici ce qu’utilise de manière habile l’avocat de la défense : l’article 306 désigne l’enfant victime comme étant une victime. Or, n’est-ce pas là aller à l’encontre de la présomption d’innocence ?
La question posée en termes juridiques est la suivante :
« L’article 306 alinéa 3 du code de procédure pénale, en ce qu’il accorde à la partie civile, qualifiée de « victime », avant même que les débats n’aient commencé devant la juridiction criminelle et en lui reconnaissant un droit unilatéral et discrétionnaire à l’exercice duquel ni l’accusé, ni la juridiction ne sont admis à s’opposer, porte-t-il atteinte au principe de la publicité des débats, au respect du principe de la présomption d’innocence et au respect des droits de la défense tels qu’ils sont établis et rappelés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en ses articles 6, 8, 9, 10 et 16 ? »
Le constat accablant mais normal pour le législateur et conforté par beaucoup de juristes est que le droit accorde aux mots une certaine valeur, un certain sens plutôt qu’un autre et leur offre une portée parfois démultipliée.
Or, ceci n’est en réalité qu’un jeu qui se fait ; l’arme des uns contre les autres, un jeu de mots, à qui saura mieux les employer, une joute verbale, une hypocrisie cachée par une logique silencieuse : notre société demande pour se parfaire des règles, une organisation juridique, des mots sur lesquels il convient d’être d’accord, un vocabulaire juridique et les avancées du temps y laissent leurs empreintes comme les idéologies qui y sont portées.
Alors, une omission, un mot de trop et surtout un mot de moins, l’inceste, et la loi bascule d’une source d’interdiction vers la confirmation d’une liberté. Quelle liberté sexuelle possède les majeurs envers les mineurs ? Celle précisée par la loi.
La loi pénale française s’est ainsi tournée du versant de la liberté des agresseurs-violeurs-incestueurs et non de celui de l’interdit d’une violence comme à sens premier nous l’aurions espéré pour sanctionner l’inceste ; nous en avons déjà parlé.
Derrière toute loi, il y a des hommes, ceux qui la font, ceux qui l’écrivent. Et, tout mot est support d’une idée. Tout mot vient sous-tendre exactement comme je suis en train de le faire en vous écrivant un objectif, une visée, une vision. Et, à tout mot juridique s’attache aussi une ou des conséquences. Celles du droit sont particulières dans la mesure où on les considère comme pouvant être privatives de liberté. Mais que dit-on là ? Quel danger pour les concitoyens ? Osons-nous dire que lorsqu’un beau père viole sa belle-fille il ne devrait n’être privé de sa liberté que dans la mesure du nécessaire ? Car, en fin de compte, c’est de cela dont il s’agit. Il faut respecter le principe de légalité des peines. Nullum crimen, nulla pœna sine lege. Et surtout en faire une application stricte et cohérente à la jurisprudence.
Pourtant, ne s’agit-il pas aussi de faire valoir que le statut de mineur.e est un statut protecteur, édicté pour accompagner la vulnérabilité, créé pour conforter une idée : celle qu’il n’est pas toléré d’actes de violences envers les enfants et que si violence il y a alors il doit y avoir sanction ? En matière de violences sexuelles pourtant, des failles à la protection sont plus que présentes. L’avant 15 ans, l’après 15 ans en est une, issue du droit civil puisque le pénal suit le civil dans son histoire et qu’il était encore possible il y a peu de se marier civilement avec une enfant de moins de 18 ans. L’origine : cacher la coït ayant donné l’enfantement. Le cacher car le nier. Nier la violence sexuelle. Nier que les violences sexuelles envers les enfants existent, qu’elles sont courantes, trop courantes, dans les familles, commises directement par les proches des enfants. Et, évidemment calquer un semblant de protection contre les violences sexuelles envers les enfants à partir de celle construite pour les rapports entre majeurs, parce que tout de même, il faut bien les protéger, inviter à ne plus exercer sa liberté sexuelle sur le corps des enfants.
Alors, le Conseil constitutionnel, dans le strict respect de sa compétence, rend sa décision ,va même au delà mais sans qu’à aucun moment les faits qui sont à l’origine de cette chaîne de décisions judiciaires ne soient cités. C’est la procédure. A aucun moment, il ne sera question de rappeler l’infraction commise. A aucun moment ne sera désignée la victime : une enfant. Le mot inceste ne sera jamais écrit.
Non, là, il s’agit de juger le droit, le droit par le droit. Un langage de spécialistes.
Alors, nous décidons de guider votre lecture de la décision par nos propos en italique. Pour vous accompagner, pour mieux vous faire comprendre comment on fait dire au droit au-delà du droit, des pouvoirs répartis, du côté ou d’un autre. Et, même si, cette histoire-ci pourrait-on dire se termine bien.
« 1. (rappel du texte juridique pour lequel la QPC est posée) Le troisième alinéa de l’article 306 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 13 avril 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Lorsque les poursuites sont exercées du chef de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles, de traite des êtres humains ou de proxénétisme aggravé, réprimé par les articles 225-7 à 225-9 du code pénal, le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, le huis clos ne peut être ordonné que si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles ne s’y oppose pas ».
2. Selon le requérant (3 arguments énoncés par le requérant, le violeur, pour permettre de dire que sa condamnation pénale n’est pas fondée et donc qu’il ne doit pas être condamné à de la prison, car sa condamnation s’appuye sur une procédure qui ne respecte pas ses droits : il a été fait application de l’article 306 du CPP – l’autorisation du huis-clos – qui selon le requérant possède des mots qui ne respectent pas les sources constitutionnelles), ces dispositions méconnaîtraient le droit à un procès équitable. En effet, en permettant à la partie civile d’obtenir, de droit et quelles que soient les circonstances, le prononcé du huis clos pour le jugement de certains crimes devant la cour d’assises, le législateur aurait porté atteinte au principe de publicité des débats. Le requérant soutient en outre que ces dispositions seraient contraires au principe d’égalité devant la justice, dès lors qu’elles rompraient l’équilibre entre la partie civile, l’accusé et le ministère public. Enfin, le requérant estime que les dispositions contestées, qui qualifient la partie civile de « victime » avant toute décision définitive de condamnation de l’accusé, iraient à l’encontre de la présomption d’innocence.
3. Par conséquent, (les mots sur lesquels portent précisément la question posée au Conseil constitutionnel) la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, » figurant au troisième alinéa de l’article 306 du code de procédure pénale.
Ensuite vient la réponse du Conseil constitutionnel aux arguments du requérant, son argumentation à lui, expressément détaillée.
4. En premier lieu, (réponse du Conseil quant à l’argument de non respect du droit à un procès équitable et au principe de publicité des débats) il résulte de la combinaison des articles 6, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 que le jugement d’une affaire pénale doit faire l’objet d’une audience publique sauf circonstances particulières nécessitant, pour un motif d’intérêt général, le huis clos.
5. Les dispositions contestées permettent à une « victime partie civile » d’obtenir de droit le prononcé du huis clos devant la cour d’assises pour le jugement des crimes de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles, de traite des êtres humains ou de proxénétisme aggravé. D’une part, en réservant cette prérogative à cette seule partie civile, le législateur a entendu assurer la protection de la vie privée des victimes de certains faits criminels et éviter que, faute d’une telle protection, celles-ci renoncent à dénoncer ces faits. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général. D’autre part, cette dérogation au principe de publicité ne s’applique que pour des faits revêtant une particulière gravité et dont la divulgation au cours de débats publics affecterait la vie privée de la victime en ce qu’elle a de plus intime. Le législateur a ainsi défini les circonstances particulières justifiant cette dérogation. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe de publicité des débats du procès pénal doit être écarté. (rejet de l’argument du requérant)
6. En deuxième lieu, (réponse du Conseil quant au respect du principe d’égalité devant la justice) selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi est « la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense.
7. D’une part, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées est justifiée par l’objectif poursuivi par le législateur rappelé au paragraphe 5. D’autre part, cette différence de traitement ne modifie pas l’équilibre des droits des parties pendant le déroulement de l’audience et ne porte pas atteinte au respect des droits de la défense. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la justice doit être écarté. (rejet de l’argument du requérant)
8. En troisième lieu, (réponse du Conseil quant au non respect du principe de présomption d’innocence) en vertu de l’article 9 de la Déclaration de 1789, tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable. Il en résulte qu’en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive.
9. Les dispositions contestées, en évoquant la « victime partie civile », désignent la partie civile ayant déclaré avoir subi les faits poursuivis. Il ne s’en déduit pas une présomption de culpabilité de l’accusé. Le grief tiré de la méconnaissance de la présomption d’innocence doit donc être écarté. (rejet de l’argument du requérant)
10. Par conséquent, (conclusion du Conseil) les mots « le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, » figurant au troisième alinéa de l’article 306 du code de procédure pénale, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution. LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – Les mots « le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, » […] sont conformes à la Constitution.
Ce qui signifie que l’argumentaire de la défense n’a pas permis de mettre en cause la condamnation de Gérard B. pour les viols incestueux imposés à sa belle-fille alors qu’elle était enfant – et tant mieux pour cette enfant victime lorsque l’on sait les statiques en matière de dépôt de plainte et de condamnation de violeurs-incestueurs.
Pour autant, dans cette décision, le Conseil Constitutionnel a franchi un pas qui nous apparaît comme étant une grave erreur, voir même un empiétement de pouvoir car il n’est pas un législateur. C’est la phrase que nous avons mise en bleu : « le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ». Il faut avoir à l’esprit que c’est le Conseil lui même qui réfléchit à son argumentation, qui choisit un mot plutôt qu’un autre, qui oriente ses réflexions ; qui décide d’anéantir une possibilité juridique ou non.
Or, l’une des parades juridiques possibles à cette situation récurrente de non-condamnation de violeurs-incestueurs est justement l’émergence d’une présomption de culpabilité à l’encontre des violeurs-incestueurs. Que dirait alors ce principe ? Qu’il appartiendrait à tout parent, proche, mis en cause pour des faits de violences sexuelles incestueuses de démontrer qu’ils n’ont pas violé leur enfant, qu’ils n’ont pas pénétré le corps de leurs enfants, qu’il n’ont pas attouché le corps de leur enfant. Cela reviendrait à donner du crédit à la parole de l’enfant qui dévoile avec ses mots à lui. elle ce dont il. elle a été victime. Cela reviendrait à réinvestir la loi pensée comme une interdiction, à conforter le statut des mineur.es et son rôle protecteur s’agissant de l’inceste. Un.e enfant qui dénoncerait l’inceste serait enfin entendu.e. Un.e enfant serait donc enfin considéré.e comme a priori ne jamais consentir à une quelconque violence sexuelle, à des viols incestueux. Un.e enfant de moins de 18 ans saurait que papa, papy ou tonton ou tout autre membre de sa famille n’a aucun droit sur son corps et ses parties intimes. Et, par effet de ricochet, les violences sexuelles entre les enfants pourraient être mieux prévenues et sanctionnées.
Mais, là n’est pas encore notre loi. Pour l’instant, et bien qu’il y ait eu des évolutions successives en matière pénales, notre loi contre le viol et l’inceste tire toujours son origine, son idéologie de la situation que c’est à la victime de prouver ses dires même si la victime est un.e enfant.
Dans le commentaire de la décision du Conseil constitutionnel, sont très justement rapportés certaines dispositions de la proposition de loi de 1980 relative à la définition du viol telle qu’elle est inscrite aujourd’hui dans notre code pénal : « le viol est sans doute le seul cas dans la pratique judiciaire où la présomption d’innocence joue pleinement en faveur de l’inculpé, la victime étant au contraire présumée coupable, ou pour le moins suspecte« .
C’est ainsi aussi que le commentaire précise que : « Si le vocable de « victime partie civile» ne se retrouve pas dans d’autres dispositions du code de procédure pénale, l’expression «victime» est employée à de nombreuses reprises. À titre d’exemple, l’article 10-2 porte sur l’information apportée aux « victimes de leur droit […] de se constituer partie civile…» ; l’article 40-4 débute par « Lorsque la victime souhaite se constituer partie civile… » ; l’article 80-3 fait état de l’obligation pour le juge d’instruction « Dès le début de l’information […] [d’]avertir la victime d’une infraction de l’ouverture d’une procédure ». Il ne ressort pas de ces diverses dispositions une atteinte à la présomption d’innocence de la personne poursuivie. Par commodité, le code de procédure pénale utilise le terme de « victime » pour désigner la personne se présentant comme telle. Toutefois, il ne saurait évidemment se déduire de cette seule qualification que la personne présentée comme l’auteur de ces faits est coupable. Cette culpabilité n’existe juridiquement que lorsqu’une décision judiciaire définitive de condamnation a été prononcée. L’emploi du terme « victime » dans la disposition contestée ne modifie en rien cette réalité. Par conséquent, le Conseil a jugé qu’aucune présomption de culpabilité de l’accusé ne se déduit des dispositions contestées et a écarté le grief tiré de l’atteinte à la présomption d’innocence. »
Que penser de tout ceci in fine ? Qu’il faut certainement revoir certains de nos mots juridiques or pour cela, il faut que la société se mette en mouvement, qu’elle regarde ce qui lui nuit, qu’elle accueille la parole des enfants, qu’elle admette qu’elle est inefficace à protéger contre l’inceste.
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