Réfléchir ensemble

La non-dénonciation de risque d’atteinte à caractère sexuel envers les enfants – le lot quotidien de l’absence de prévention

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Il y a quelques jours le parquet de Nanterre a ouvert une enquête préliminaire pour non-dénonciation après la mise en examen d’un animateur périscolaire de Courbevoie pour viols et agressions sexuelles commis à l’encontre de 16 enfants âgés de 5 à 8 ans.

Alors que des enfants avaient réussi à dénoncer les violences sexuelles que l’agresseur leur avait fait subir quelques années auparavant,

Alors que sa hiérarchie l’avait suspendu de ses fonctions pour quatre mois suite à ces agissements,

le service communal d’activités périscolaires l’avait finalement ré-autorisé à reprendre ses fonctions auprès des enfants.

La Direction départementale auprès de qui les violences sexuelles avaient également été dénoncées assurait quant à elle avoir mis en oeuvre un « protocole de surveillance ». Et, c’est la directrice du service communal en personne qui devait assurer l’application de ce protocole.

Constatez-vous le malaise dans cette petite histoire sordide ?

Il y a là des violences sexuelles, viols et agressions sexuelles commis sur des enfants, violences sexuelles reconnues mais aucun lien avec la justice et surtout pas de condamnation. On est en mesure de se demander pourquoi. Puis, une mise en danger délibérée des autres enfants.

La réalité des violences sexuelles est que cette situation est le lot quotidien de nos, vos enfants.

A l’école, en activités péri-scolaires, en colonies de vacances, en foyer d’urgence, en maison d’enfants à caractère social, dans toute structure collective accueillant des enfants la réalité est que la protection que nous devrions offrir et surtout garantir à tous les enfants n’existe pas. Et, elle n’est que le reflet de cette incapacité qui sévit aussi dans nos familles, dans nos maisons.

La réalité des violences sexuelles prouve que les professionnels y compris de la petite enfance, du monde de l’éducation, du monde de l’animation, ainsi que leurs responsables ne sont pas formés ni capables d’appréhender des situations de violences sexuelles.

La réalité des violences sexuelles montre que les enfants eux sont capables de dire qu’on les a blessés, qu’on leur a fait mal, qu’il s’est passé quelque chose de pas normal mais que personne ne prend réellement la mesure de leur propos ou a minima certains accompagnants prévenants.

Or, notre code pénal dispose pourtant d’un attirail de dispositions sur lesquelles il est possible de s’appuyer pour signaler, dénoncer et prévenir des violences sexuelles dont les enfants pourraient être victimes.

Ces dispositions rappellent d’ailleurs avec insistance que le fait de ne pas dénoncer la connaissance de toute atteinte ou risque d’atteinte à caractère sexuel à l’encontre d’un enfant est légalement répréhensible. 

Toute personne a plusieurs devoirs à respecter en matière de protection des enfants contre les violences sexuelles :

  • le devoir d’informer des crimes à caractère sexuel commis à l’encontre d’un enfant

L’article 434-1 du code pénal dispose que :

Le fait, pour quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

L’article ajoute que les crimes à caractère sexuel commis sur les mineurs doivent également être dénoncés par les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et sœurs et leurs conjoints, de l’auteur ou du complice du crime, de même que le conjoint de l’auteur ou du complice du crime, ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui.

  • le devoir d’informer des agressions et atteintes sexuelles commises à l’encontre d’un enfant

L’article 434-3 du code pénal dispose que :

Le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

  • le devoir de participer à la manifestation de la vérité s’agissant de toutes violences sexuelles commises à l’encontre des enfants 

L’article 434-4 du code pénal dispose que :

Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité :

1° De modifier l’état des lieux d’un crime ou d’un délit soit par l’altération, la falsification ou l’effacement des traces ou indices, soit par l’apport, le déplacement ou la suppression d’objets quelconques ;

2° De détruire, soustraire, receler ou altérer un document public ou privé ou un objet de nature à faciliter la découverte d’un crime ou d’un délit, la recherche des preuves ou la condamnation des coupables.

Lorsque les faits prévus au présent article sont commis par une personne qui, par ses fonctions, est appelée à concourir à la manifestation de la vérité, la peine est portée à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende.

  • le devoir d’informer en cas de disparition d’un enfant 

L’article 434-4-1 du code pénal dispose que :

Le fait pour une personne ayant connaissance de la disparition d’un mineur de quinze ans de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives, en vue d’empêcher ou de retarder la mise en oeuvre des procédures de recherche prévues par l’article 74-1 du code de procédure pénale, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

  • l’interdiction de contraindre un enfant victime à ne pas porter plainte

L’article 434-5 du code pénal dispose que :

Toute menace ou tout autre acte d’intimidation à l’égard de quiconque, commis en vue de déterminer la victime d’un crime ou d’un délit à ne pas porter plainte ou à se rétracter, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Si ces dispositions légales existent, combien sont réellement appliquées ? Sont-elles simplement connues ?

Pourtant être vigilant et signaler sont deux actions efficaces pour prévenir les violences sexuelles. Mais, qui s’en soucie vraiment ? Qui est vigilant ? Qui demande à ses enfants : est-ce que quelqu’un à ton école ou dans notre famille a touché ton pénis, ton anus, ta vulve ? est-ce que quelqu’un t’a déjà montré son sexe ? Ou alors qui demande encore : mais vos animateurs, vos éducateurs sont-ils formés en matière de prévention des violences sexuelles ? Qu’avez-vous mis en place comme dispositifs de veille des violences sexuelles au sein de votre établissement ? Quelle en est l’efficacité ? Quel protocole suivez-vous si au sein de votre école, un viol est commis ? ou lorsqu’un enfant révèle une violence ? Est-il pris au sérieux ? Est-il protégé ? Et les autres enfants ? Bénéficient-ils d’action de post-vention après des actes de violences sexuelles subis par l’un d’eux au sein de votre établissement ? Comment sensibilisez-vous les enfants aux violences sexuelles ? Vous qui êtes un établissement de la protection de l’enfance, connaissez-vous les signes d’un enfant victime de violences sexuelles ? Quel suivi ou action avez-vous mis en place en lien avec l’ASE du département, la police judiciaire, le parquet ?

Dans cette petite histoire, le constat est que comme bien souvent, de nombreuses personnes savaient. Que peu de questions ont-été posées. Et surtout que très peu de réponses ont été apportées. Or, nombre de personnes savaient que des enfants avaient déjà subi des violences sexuelles de la part de cet agresseur, elles savaient qu’il n’était pas un risque mais un agresseur ayant déjà agressé, elles savaient qu’elles ne protégeaient pas les autres enfants.

Or, cette chaîne de non-vigilance, de non-signalement, de non-dénonciation, de non-protection n’est que le reflet de celle qui est aussi présente au sein de notre société.

De la mère qui voit que son mari agresse sexuellement ses enfants et ferme les yeux, en passant par les voisins mis au courant de la situation des enfants de telle famille, en passant par le foyer d’urgence où les enfants ont telle conduite mais à qui on ne demande jamais ce qu’ils ont réellement vécu ou de la situation où en réunion d’équipe il faut taire l’expression « violences sexuelles », en passant par l’école où le maître a été le confident de cet enfant qui a été sodomisé par son oncle le weekend dernier, en passant par l’animateur théâtre des NAP qui a surpris tel enfant en agresser sexuellement une autre et n’en n’a pas parlé, en passant par les responsables de structure qui minimisent des propos d’enfants rapportés, en passant par le parquet qui oublie de poursuivre, classe sans-suite, est débordé par les violences sexuelles envers les enfants, en passant par les tribunaux correctionnels qui correctionnalisent des viols d’enfants, les viols incestueux commis par un frère sur sa soeur, en passant par des cours d’assises dans lesquelles des présidents de séance tiennent des propos qui confortent les stratégies des agresseurs ou dans lesquelles on demande à un.e enfant de dire si elle avait consenti à être violée à plusieurs reprises.

Le constat est que notre société toute entière a fait sienne de manière systématique la défense du principe de la présomption d’innocence en oubliant que derrière des mots qui révèlent, si petits soient-ils, il y a la réalité des violences sexuelles dont un enfant sur cinq est victime en France. 1 enfant sur 5. Prenez une classe de 30 élèves, cela représente 6 enfants victimes.

Aujourd’hui encore, le système pervers dans lequel la société nage est la défense des agresseurs et non le soutien aux plus vulnérables d’entre nous.

Héritage du patriarcat, ce système a ainsi pour effet de nier les droits des enfants : le droit au respect de leur corps, le droit à une protection efficiente contre toutes les formes de violences sexuelles, le droit à un juge et le droit à la prévention.

A vous qui avez le devoir d’informer, cessez d’hésiter.

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