Réfléchir ensemble

#moiaussiAmnésie – faisons entrer l’amnésie traumatique dans la loi

amnésie-traumatique

Le 14 novembre dernier, Mié Kohiyama cosignait une tribune dans Le Monde avec Muriel Salmona et Me Gilles-Jean Portejoie afin de mobiliser les esprits sur l’importance de faire entrer dans la loi l’amnésie traumatique. L’enjeu : que la prescription ne puisse plus faire échec à l’apparition des souvenirs de violences sexuelles au delà des délais légaux.

Qu’est-ce que l’amnésie traumatique qui touche près de 40% des enfants victimes de violences sexuelles ?

Muriel Salmona nous explique : « il s’agit d’un mécanisme neurobiologique de sauvegarde bien documenté que le cerveau déclenche pour se protéger de la terreur et du stress extrême générés par les violences qui présentent un risque vital (cardio-vasculaire et neurologique). (…) Ce mécanisme fait disjoncter les circuits émotionnels et ceux de la mémoire, et entraîne des troubles dissociatifs et de la mémoire, responsables des amnésies et d’une mémoire traumatique. »

En bref, face à la terreur et à la douleur des violences sexuelles subies par un enfant, son corps déclenche une amnésie afin de continuer de grandir, de vivre. Et, les souvenirs ne remonteront que lorsque le corps le décidera.

Afin de soutenir un changement de nos lois, nous avons décidé de publier à la date clé du 14 de chaque mois – en référence à la publication de la tribune – un témoignage d’une victime d’amnésie traumatique. Le hashtag #moiaussiamnésie reviendra donc en titre tous les 14 du mois pour nous inviter à réfléchir à une meilleure protection – législative – des enfants contre les violences sexuelles.

Témoignage de JL 73 ans qui a subi une amnésie traumatique durant un demi-siècle :

« Je suis né en 1944. Les premiers faits remontent au début des années 50, j’avais 7 ou 8 ans. Ma mère était une fervente catholique. A Nice, je fréquentais une paroisse où un curé m’a un jour pris sur les genoux. Il me disait qu’il avait mal à la cuisse et qu’il fallait le masser. En fait, je l’ai masturbé à travers sa soutane. Il s’est levé, tout rouge. Mes camarades m’ont dit « tu l’as fait juter ». Une autre fois, il m’a invité dans sa chambre en m’offrant des bonbons et des BD. Là il s’est couché sur moi en faisant des allers et retours. Puis la troisième fois, il m’a présenté un séminariste qui devait avoir entre 16 et 18 ans. Celui-ci m’a emmené avec lui en m’expliquant qu’il allait m’enseigner la façon dont on recevait le Saint-Esprit « comme un suppositoire ». Il s’est affairé derrière moi. J’ai trouvé que c’était long. Je me disais « il en fait des efforts pour atteindre le Saint-Esprit ». Je n’ai pas senti de douleurs. Une fois son affaire terminée, il était tout rouge. J’ai tout raconté à ma mère qui m’a immédiatement emmené voir le curé. Il a dit que je mentais et a déclaré : « le diable t’habite, tu attaques l’Eglise du christ ». Il n’a ensuite plus voulu de moi et je n’ai pas pu devenir boy-scout. J’ai donc été obligé de mentir et je suis entré dans un cercle infernal. Cette histoire a beaucoup nui aux relations avec ma mère. Puis j’ai été admis dans un pensionnat religieux où j’ai connu des prêtres très accueillants et honnêtes. Je me suis vite rétabli. J’ai fait des études d’ingénieur.

Les souvenirs ont complètement disparu de ma mémoire pendant 50 ans. Pendant toute cette période, de temps en temps je n’allais pas bien mais je ne parvenais pas à mettre des mots sur mon mal être.

A 25 ans, j’ai eu des périodes de très fortes angoisses avec des peurs intérieures. J’ai fait deux fois des séjours à l’hôpital militaire à cause de ces angoisses. Un soir, j’ai voulu me suicider. Une voix intérieure a surgi en moi avec ces mots: « fais un pas et je t’aiderai pour la suite ». J’ai fait ce pas. Depuis, j’ai eu des moments difficiles mais plus d’angoisses aussi terribles.

Vers la soixantaine, j’ai commencé à avoir des vertiges, j’ai été obligé de m’arrêter de travailler. Des vertiges, j’en avais eu étant enfant. J’étais alité. Petit à petit, des souvenirs sont remontés. En plus des abus que m’a fait subir le prêtre, j’ai été violé plusieurs fois par d’autres hommes. Mon grand-père m’a prostitué. J’ai confié ces souvenirs à mon entourage qui ramenait inévitablement la conversation autour de la fiabilité de ma mémoire, ce qui m’irritait profondément. J’avais le sentiment de revivre la réaction de ma mère qui m’avait accusé de mensonges et de me sentir à nouveau rejeté.

Puis j’ai rencontré S. grâce à Coabuse.fr. S. a été victime du même prêtre que moi. Je n’avais donc pas rêvé. Je n’étais plus le petit de cette époque qui « mentait ». Mes échanges avec lui ont fait du souvenir de l’enfant que j’étais une vérité d’adulte, ma vérité d’homme. J’y ai trouvé de la sécurité. On a eu des excuses publiques de l’Evêque de Nice mais cela m’importe peu ».

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