Réfléchir ensemble

Aux origines du consentement de l’enfant aux violences sexuelles ou pourquoi le Sénat est incapable de protéger contre l’inceste

consentement-enfants

Historiquement, c’est en 1980 que le code pénal définit précisément ce qu’est un viol.  Auparavant, la jurisprudence et les magistrats l’avaient déjà défini mais cette année 1980 marque un tournant car elle inscrit dans la loi la notion de « consentement aux violences sexuelles ».

La loi n°80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol a pour origine une proposition de loi n°324 déposée au Sénat. C’est donc dans cette proposition de loi que l’on trouve les raisons pour lesquelles une telle modification législative a paru nécessaire à l’époque et a finalement été votée par le parlement.

Or, lorsque l’on lit la proposition de loi, force est de constater qu’à aucun moment on ne parle des enfants. Il ne s’agit pas de protéger les enfants mais les femmes contre le viol.

Pourtant, en pratique, c’est sur cet article du code pénal, initié par cette loi, l’article 222-23 du code pénal, qu’est sanctionné l’inceste ; dont on sait qu’il est la principale forme de violence sexuelle subie par les enfants – 1 enfant sur 5 en France selon les chiffres du Conseil de l’Europe.

Nous avons déjà expliqué à deux reprises (ici et ici) cette particularité du droit français qui ne sanctionne pas directement l’inceste mais aujourd’hui nous décidons d’aller un peu plus loin encore dans notre analyse afin de vous montrer à quel point se référer à la notion juridique de consentement s’agissant des enfants afin de les protéger contre l’inceste est largement inadéquat.

Notre réflexion s’attachera aussi à expliquer pourquoi le groupe de travail de la commission des lois du Sénat n’est pas parvenu à faire des propositions plus efficaces en matière de protection contre l’inceste.

Pour rappel, depuis plusieurs semaines la commission des lois du Sénat a créé un groupe de travail sur les infractions sexuelles à l’encontre des mineurs dont l’objectif est d’engager une réflexion et mais aussi de faire des propositions pour rendre le droit pénal applicable aux infractions sexuelles commises envers les mineurs plus protecteur. Nous avons d’ailleurs participer à l’espace participatif, voir ici. Or, ce mercredi 7 février, les membres de la Commission ont rendu leur rapport. Il s’agit du rapport d’information n° 289 (non encore accessible) dont les principales propositions ont été rapportées dans le dossier de presse présenté par le Sénat « Protéger les mineurs victimes d’infractions sexuelles« .

Dans ce dossier de presse, sont recensées les motivations pour lesquelles la commission ne recommande pas d’instituer une présomption de non consentement aux violences sexuelles ainsi que le gouvernement l’avait annoncé.

« Il [le groupe de travail] n’a pas retenu l’idée avancée par le Gouvernement consistant à instituer une présomption de « non-consentement » des mineurs en fonction d’un seuil d’âge.

En premier lieu, cette modification législative serait sans effet sur le risque d’acquittement par un jury populaire de cour d’assises, qui juge en son intime conviction de la culpabilité d’un mis en cause.

En second lieu, cette proposition pose davantage de questions qu’elle n’en résout. Quel seuil retenir ? Certains ont évoqué l’âge de 13 ans, d’autres celui de 15 ans… L’instauration d’un seuil d’âge exigerait de redéfinir l’ensemble des infractions et des sanctions puisque actuellement toute atteinte sexuelle commise par un adulte à l’encontre d’un mineur de moins de quinze ans, sans coercition aucune, est déjà punie et qu’il existe de nombreuses circonstances aggravantes dans notre droit pénal en fonction de l’âge de la victime et de ses liens avec l’auteur de l’infraction…

Au-delà de ces difficultés juridiques et pratiques, une telle solution revêtirait un caractère brutal et arbitraire. Elle introduirait une automaticité dans la loi pénale qui ne permettrait pas de prendre en compte la diversité des situations susceptibles de se présenter.

Tout d’abord, pourquoi un mineur âgé de 15 ans et 1 mois devrait-il être moins protégé qu’un mineur âgé de 14 ans et 9 mois, alors même que la maturité sexuelle et la capacité de discernement des mineurs sont très variables ? Ensuite, faut-il traiter de la même manière un majeur de 18 ans et quelques jours ayant eu une relation sexuelle avec un mineur âgé de 14 ans et 9 mois, et un majeur de 45 ans ayant eu une relation sexuelle avec un mineur âgé de 15 ans et 1 mois ? Si un acte de nature sexuelle entre un majeur de 18 ans et un mineur de 14 ans constitue une infraction, doit-il pour autant être qualifié de crime ?

Concernant les mineurs délinquants, il convient de rappeler qu’il n’existe pas un seuil d’âge engendrant leur responsabilité pénale : celle-ci s’apprécie de manière concrète au regard du discernement du mineur auteur. Cette absence de seuil d’âge est le gage d’une protection effective de l’enfant, selon le Défenseur des droits qui a pour mission de défendre et de promouvoir l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant.« 

L’ensemble du discours politique et du discours juridique s’égosille ainsi à questionner la notion juridique de consentement. Devrait-il y avoir une présomption de non-consentement des enfants aux violences sexuelles et si oui, à partir de quel âge ?

Or, penser à instaurer une telle présomption de non-consentement revient à dire à mots couverts que le postulat initial sur lequel s’appuye le droit pénal pour sanctionner les violences sexuelles est qu’un acte de pénétration sur le corps d’un enfant par un adulte n’est pas répréhensible.

Dans aucun article du code pénal n’est précisé de manière explicite et express qu’un acte de pénétration sexuelle sur le corps d’un enfant par un majeur est strictement interdit. Ce qui est dit est que l’enfant pourra être réputé non consentant si des circonstances le démontrent. Autrement-dit, le droit pénal français considère que l’acte sexuel entre un enfant et un adulte est envisageable. Et, c’est là tout le glissement de la réflexion de la répression des violences sexuelles.

En effet, du point de vue de l’enfant victime, « l’acte sexuel » est une violence sexuelle. Mais, du point de vue de l’auteur des violences, « l’acte sexuel » n’est pas une violence sexuelle. L’enfant peut y consentir. C’est d’ailleurs ce que nombre de pédocriminels pensent. Ils croient que l’enfant peut consentir de manière éclairée à avoir avec eux des relations sexuelles.

Le consentement qui est recherché chez l’enfant traduit ici l’exercice d’une liberté, la liberté sexuelle. Et, à l’image du droit civil, si le consentement a été vicié, notamment par violence, alors le contrat, la liberté tombe.

S’égosiller ainsi autour de la notion juridique de consentement pour réprimer les violences sexuelles envers les enfants est donc biaiser la question de la protection des enfants. Car c’est opposer « liberté sexuelle » face à « violence sexuelle » alors même que la « liberté sexuelle » n’est pas une notion tangible, compréhensible et intelligible pour l’enfant du fait de son immaturité et surtout de sa vulnérabilité.

En acceptant cela, le législateur a largement méconnu un fait scientifique important qui est celui du développement physiologique et psychologique de l’enfant. Le législateur a calqué son modèle juridique de protection des enfants contre les violences sexuelles sur celui des femmes et des hommes ADULTES contre les violences sexuelles. Oser dire qu’un enfant peut exercer notamment face à un adulte sa pleine et entière liberté sexuelle, peu importe son âge, c’est aller à l’encontre du processus physiologique et psychique de développement de l’enfant. Or, c’est pourtant ce qu’ose toujours sous-tendre le législateur.

D’ailleurs, dans son Histoire du viol in Dictionnaire de la violence, Fabrice Virgili nous dit « le plaisir est doublement au coeur de la définition du viol […] davantage que le plaisir du violeur, c’est la suspicion de celui de la victime qui organise bien souvent la façon dont est reçu, pensé et jugé le viol« . Or, on voit bien avec ce rapport au plaisir de la définition du viol combien utiliser l’actuelle définition juridique du viol pour sanctionner l’inceste ou toute autre viol d’un enfant par un majeur est complètement incompréhensible et surtout non protecteur.

Mais, allons encore un peu plus loin. Et, pour cela, aidons-nous des propos de Mme Catherine Le Magueresse auteure de l’article Viol et consentement en droit pénal français. Réflexions à partir du droit pénal canadien, paru aux Archives de politique criminelle.

A partir d’une comparaison juridique simple, Mme Catherine Le Magueresse démontre comment le droit pénal induit une présomption de consentement des femmes aux violences sexuelles.

« Comparons le statut du consentement d’une femme qui dénonce une atteinte à ses biens, le vol de son portefeuille par exemple, avec celui d’une femme qui dénonce une atteinte à sa personne, telle un viol.

Dans le premier cas, on ne présumera pas que la plaignante a voulu donner son portefeuille ; elle n’a pas à prouver qu’elle n’était pas consentante et ce quelles que soient les réactions qu’elle a eues au moment du vol.

A l’inverse dans le second cas, on attendra d’elle qu’elle prouve qu’elle n’était pas consentante, qu’elle « résiste ».

Plus encore, son absence de consentement sera évalué à l’aune du comportement de l’auteur : s’il recourt à certains « procédés », la « violence, menace, contrainte ou surprise », alors l’absence de consentement sera actée. Cette spécificité interroge.

Les magistrats de la Cour de cassation avaient déclaré, en 1857, dans un arrêt décrit comme fondateur : « Le crime de viol consiste dans le fait d’abuser une personne contre sa volonté, soit que le défaut de consentement résulte de la violence physique ou morale exercée à son égard, soit qu’il résulte de tout autre moyen de contrainte ou de surprise pour atteindre, en dehors de la volonté de la victime, le but que se propose l’auteur de l’action. »

Cette déduction est fausse ; le défaut de consentement ne peut « résulter » que de la personne supposée donner (ou non) son consentement et non du comportement d’un tiers, en l’occurrence de l’auteur des violences sexuelles.

Pour autant, c’est cette approche du viol qui perdure.

L’article 222-23 du Code pénal dispose : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »

Cette présomption [de consentement aux violences sexuelles] est socialement toujours ancrée : à moins qu’elle ne proteste ou résiste (énergiquement), une femme est «réputée» consentir. »

Cette démonstration pour le moins éclairante vient ainsi renforcer notre propre réflexion : prétendre protéger les enfants contre les violences sexuelles et notamment de l’inceste à partir d’une présomption de consentement des enfants aux violences sexuelles est un non-sens. Aujourd’hui encore, de la même manière que pour une femme victime de viol, est recherché sa résistance aux violences sexuelles, pour les enfants victimes d’inceste est recherché aussi leurs résistances aux violences sexuelles.

Or, c’est cette situation juridique qui a pour conséquence les aberrantes décisions judiciaires que nous avons déjà dénoncées. Un père incestueux a pour stratégie de défense de dire que sa fille était toujours consentante aux viols qu’elle subissait, d’ailleurs elle y prenait du plaisir. Le viol d’une fillette de 11 ans par un homme de 28 ans n’est pas considéré comme tel dans la mesure où la fillette était consentante au vu des circonstances. Enfin, la fellation sur le corps d’un garçon si petit soit-il n’est pas considéré comme étant un viol mais une simple agression sexuelle étant donné que le crime de viol doit résulter d’un acte de pénétration du corps de l’enfant, or si c’est le corps de l’auteur des violences qui est pénétré par le corps de l’enfant, alors il n’y a pas viol.

Le groupe de travail du Sénat aurait pu simplement proposer d’inscrire dans la loi que :

  • tout acte de nature sexuelle entre un enfant et un majeur est une violence sexuelle criminelle. Le majeur en est responsable pénalement.

Ainsi, la protection des enfants contre les violences sexuelles ne reposerait plus sur la notion de consentement de l’enfant aux violences.

Un faisceau d’indices permettrait d’identifier puis de qualifier l’acte de nature sexuel.

Serait aussi mieux considéré et pris en compte l’ensemble des symptômes développés par l’enfant du fait des violences subies. Son statut de victime serait mieux considéré et reconnu.

Enfin, l’aspect préventif d’une telle disposition juridique serait triple.

Non seulement cela permettrait de faire reculer l’ensemble des violences sexuelles éducatives ordinaires et ainsi de renforcer le respect dû au corps de l’enfant par tout un chacun.

De plus, cela permettrait de créer un cadre éducatif de référence mieux compris par les parents et les éducateurs s’agissant du développement physiologique et psychologique de l’enfant.

Enfin, cela permettrait de mieux interroger le vide juridique de la répression des violences sexuelles entre enfants et de considérer que des dispositions spécifiques aux violences sexuelles entre enfants sont nécessaires.

+ voir : http://journals.openedition.org/clio/3932

+ voir histoire du viol article dnas article > consentement

2 réflexions au sujet de « Aux origines du consentement de l’enfant aux violences sexuelles ou pourquoi le Sénat est incapable de protéger contre l’inceste »

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