L’éditorial du Rapport Enfant « De la naissance à 6 ans » rendu le 20 novembre 2018 par la Défenseure des Enfants et le Défenseur des Droits est élégant :
« Le bébé est une personne […] en 1989, que l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait la convention des droits de l’enfant (CIDE), qui venait consacrer l’enfant comme une personne à part entière, un sujet de droits propres, droits dont la réalisation devait être soutenue et accompagnée par les adultes, à commencer par ses parents. L’ensemble de ces droits a pour finalité de favoriser le meilleur développement de l’enfant, ainsi que son bien-être, c’est-à-dire la satisfaction de ses besoins fondamentaux, physiques, mentaux sociaux, etc, de même que ses besoins de sécurité et d’affection. Ils s’appliquent dès la naissance, l’enfant étant défini dans la convention comme tout être humain âgé de 0 à 18 ans. »
L’objectif de ce rapport 2018 est de permettre un état des lieux du respect des droits des enfants de la tranche d’âge de 0 à 6 ans.
« Nous avons voulu cette année nous intéresser aux tous jeunes enfants, aux petites filles et aux petits garçons, de leur venue au monde à leurs six ans, afin d’explorer si et comment leurs droits étaient appréhendés et effectivement mis en œuvre, au plan individuel comme au plan collectif. […] Nous nous sommes donc interrogés sur la place qui est réellement faite aux bébés et aux très jeunes enfants au sein de la société, des politiques publiques et des institutions […] Notre rapport montre combien il est
déterminant que l’État et les autres acteurs institutionnels et professionnels se mobilisent pour la petite enfance, qui est le temps des fondations du développement du petit humain ».
Au chapitre dédié à la « lutte contre les maltraitances intrafamiliales », est indiqué :
« Dans les situations de négligences et de maltraitances envers les enfants, leurs besoins fondamentaux ne trouvent pas de réponses adaptées, leur attachement devient « insécure » et leur développement se trouve perturbé. D’où l’importance d’un repérage le plus précoce possible et d’un référentiel national d’indicateurs de vulnérabilité. En effet, la transmission d’informations préoccupantes et/ou le signalement de maltraitances aux parquets se heurtent trop souvent à une insuffisante appréciation des éléments constitutifs d’un risque ou d’un danger, surtout quand l’on parle de négligences sur les tout-petits ».
Le chapitre poursuit ainsi les constats et recommandations, qui sont largement connus des professionnels de la protection de l’enfance.
Pourtant, alors même que sont citées à plusieurs reprises les conséquences délétères pour les enfants de « toutes les formes de violences », en particulier des violences psychologiques et physiques, aucun mot n’est dit sur les violences sexuelles. AUCUN !
L’expression même de « violences sexuelles » n’est à aucun moment reprise dans les 84 pages du rapport. L’inceste n’existe pas non plus dans ce rapport, ni les viols et agressions sexuelles sur les enfants de 0 à 6 ans.
Plus qu’une carence, ce manque de transparence de la réalité du vécu des tout-petits montre à quel point toutes les formes de violences dont les violences sexuelles qu’ils subissent sont niées y compris par ceux qui sont censés être les mieux à même d’en parler.
Comment se fait-il qu’en 2018, il n’y ait pas un seul emploi de l’expression « violences sexuelles » dans un rapport de 84 pages relatif aux droits des enfants ; rapport dont l’objet est d’interpeller le gouvernement pour améliorer le respect des droits des enfants ?
Pour rappel, en France, 1 enfant sur 5 est victime de violences sexuelles.
Dans son Etat des lieux des violences sexuelles faites aux enfants produit en septembre 2018, l’Association Mémoire traumatique rappelait pourtant que :
« La lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants n’est toujours pas une urgence majeure en terme de droits humains, de société, de justice et de santé publique malgré l’ampleur du nombre d’enfants qui en sont victimes et la gravité des conséquences à long terme sur leur santé mentale et physique et sur leur vie. »
Le rapport du Défenseur cite pourtant le Dr Salmona et ses travaux sur les châtiments corporels et violences éducatives, dans la note de bas de page n°18 mais pourtant le sujet des violences sexuelles n’intervient dans aucune de ses lignes !
Or, les enfants sont les principales victimes de violences sexuelles.
- 81% des violences sexuelles sont subies avant l’âge de 18 ans,(IVSEA, 2015)
- 51% des violences sexuelles sont subies avant l’âge de 11 ans, (IVSEA, 2015)
- 21% des violences sexuelles sont subies avant l’âge de 6 ans (IVSEA, 2015)
Ces violences sexuelles sur des mineurs sont commises dans 94% des cas par des proches, et
- par des membres de la famille dans plus de 50% des cas avant 18 ans (IVSEA, 2015),
- et avant 15 ans dans plus de 80 % des cas pour les filles et 86 % pour les garçons (Enquête Virage, 2017).
Autre chiffre important, 85% des victimes de violences sexuelles rapportent n’avoir jamais été protégées, ni reconnues (IVSEA, 2015).
« Les enfants victimes de violences sexuelles dans leur grande majorité sont donc abandonnés. Ils vivent dans la peur de parler : peur de représailles, peur d’être blâmés ou de ne pas être crus, peur que l’extrême violence qu’ils ont subie ne soit pas reconnue ou soit minimisée, peur d’être pris pour des menteurs, des fous, des idiots incapables de se protéger, des méchants, peur d’être culpabilisés, humiliés, accusés, rejetés… Personne ou presque n’entend, ne croit ni ne protège ces enfants victimes, personne ou presque ne s’enquiert face à des enfants présentant des signes de souffrance des violences qu’ils ont pu subir, personne n’a peur pour ces enfants. Ils sont donc condamnés à survivre seuls aux violences et à leurs lourdes conséquences psychotraumatiques, à l’aide de stratégies de survie qui les handicapent lourdement.
L’offre de soins très insuffisante participe au déni et à l’abandon des victimes
L’absence de dépistage, de protection et de prise en charge de ces enfants est une lourde perte de chance pour eux, d’autant plus que les soins dont ils pourraient bénéficier sont efficaces. Idéalement la prise en charge des troubles psychotraumatiques doit être la plus précoce possible, pour autant il n’est jamais trop tard pour proposer des soins, même 50, 60, 70 ans après…
Mais les troubles psychotraumatiques et leurs mécanismes sont encore trop méconnus, et cela porte lourdement préjudice aux victimes. Les professionnels de la santé ne sont toujours pas formés au dépistage systématique des victimes de violences, à leur protection et à la prise en charge des conséquences psychotraumatiques des violences sexuelles, ni en formation initiale, ni en formation continue, et l’offre de soins adaptés est bien trop rare. De nombreux diagnostics sont portés à tort et des traitements essentiellement dissociants et anesthésiants proposés, quand ils ne sont pas maltraitants.
Les violences sexuelles faites aux enfants bénéficient d’un déni, d’une loi du silence d’une impunité quasi totale : la société et la justice échouent à protéger ces enfants, à leur rendre justice et à réparer leurs graves préjudices.
Moins de 4% des viols sur mineurs font l’objet de plaintes (CSF, 2008, ONDRP, 2016, Infostat justice, 2016, Virage, 2017).
70% des plaintes sont classées sans suite, 30% sont instruites, dont la moitié sont déqualifiées et correctionnalisées (infostat justice, 2018).
Voici donc les vrais constats qui auraient du apparaître dans ce rapport, ainsi que les met en évidence le Dr Salmona dans son Etat des lieux :
« Les enfants sont impérativement à protéger, ce n’est pas à eux de se défendre c’est aux adultes de tout mettre en œuvre pour le faire. Il est donc urgent de se préoccuper des enfants, de les protéger des violences sexuelles, de soigner et rendre justice à ceux qui en ont été victimes. Il est temps que les droits fondamentaux des personnes à ne subir aucune forme de violence soient enfin respectés, il est temps de ne laisser aucun enfant de violence sans protection, ni soins, ni justice. Protéger les enfants victimes nécessite la volonté politique de mettre en place d’urgence des réformes ambitieuses pour améliorer la prévention des violences sexuelles, pour ne laisser aucun enfant victime de violences sexuelle sans protection, ni prise en charge médico-sociale et judiciaire de qualité avec des professionnels formés. Ne pas offrir aux enfants victimes de violences une protection, des aides et des soins de qualité, et laisser les violences sexuelles impunies représentent une lourde perte de chance inacceptable, pour leur santé et leur avenir, et cela met les victimes en danger de subir à nouveaux des violences.
Jusque là toutes les institutions ont été défaillantes pour protéger efficacement les enfants victimes de violences sexuelles et pour prendre en compte l’ampleur et la gravité du problème humain, de santé publique, de l’atteinte aux droits fondamentaux que représentent ces violences sexuelles faites aux enfants : la perte de chance en terme de santé mentale et physique, de développement et d’avenir pour les enfants qui en sont victimes est énorme et inacceptable, l’impunité quasi totale dont bénéficient les agresseurs met tous les enfants en grand danger.
Pour sortir du déni, de la loi du silence et de l’impunité, pour lutter contre l’abandon où sont laissées les victimes, pour qu’elles soient enfin protégées et qu’elles puissent accéder à des soins et à une justice, il faut être à l’écoute, solidaire et :
• ne plus tolérer les violences sexuelles quelles qu’elles soient et mettre en place des procédures judiciaires adaptées et respectueuses des droits des victimes et de leur protection, et lutter contre l’impunité en améliorant les lois et les moyens de la justice et son accès pour les victimes (seuil d’âge du consentement, imprescriptibilité, arrêt des déqualifications, reconnaissance de l’amnésie traumatique comme obstacle insurmontable levant la prescription, etc. Cf le manifeste contre l’impunité et ses 8 mesures urgentes qui a été présenté le 20 octobre 2017 au secrétariat d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, qui est co-signé par 28 associations et qui a recueilli près de 60 000 signatures) ;
• informer sans relâche sur la réalité des violences sexuelles et de leurs conséquences psychotraumatiques, faire de la prévention dès la maternelle ;
• lutter contre toutes les inégalités, les discriminations et les stéréotypes, lutter contre toutes les formes de violences ;
• former tous les professionnels prenant en charge les victimes ;
• mettre en place une offre de soin adaptée et accessible à toutes les victimes (cf les 10 centres du psychotraumatisme qui vont s’ouvrir prochainement dont on avait avec la DGOS le cahier des charges, mais ce sera encore très insuffisant, il faut au moins 100 centres un dans chaque département ou par bassin de 200 000 habitants comme le recommande la convention d’Istanbul) ;
• et il est impératif de protéger les victimes et pour cela d’aller vers elles pour les identifier, et non d’attendre qu’elles viennent parler, pour cela il faut rechercher auprès de toutes les personnes si elles ont subi ou si elles subissent des violences sexuelles en leur posant régulièrement la question. »