Dans son enquête réalisée en 2015, avec IPSOS, l’Association Mémoire Traumatique et Victimologie nous révélait un état des lieux alarmant sur les violences sexuelles perpétrées sur les enfants. Dans 81% des cas, les violences sexuelles avaient débuté avant 18 ans. Avant 11 ans pour 1 victime sur 2 et avant 6 ans pour 1 victime sur 5.
La nouvelle enquête IPSOS, réalisée en septembre 2019, nous interpelle un peu plus encore car elle nous indique que « Les victimes sont en grande majorité (83%) des femmes qui témoignent avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance qui sont des incestes dans 44% des cas, des viols dans 22% des cas (incestueux dans 49% des cas) ».
Autrement-dit, les filles sont plus victimes que les garçons. Ou, devrait-on dire les filles sont toujours plus victimes que les garçons…
Cela signifierait-il que les dispositifs de prévention sont mal adaptés ? ou qu’ils ne prennent tout simplement pas en compte la réalité des violences sexuelles ? ou qu’ils ne prennent toujours pas en compte le fait que les filles sont plus victimes que les garçons ? et que les violences sexuelles qu’elles subissent sont principalement des violences sexuelles incestueuses ? c’est à dire provenant de la part de papa, tonton, grand-frère, papy ou le nouveau copain de maman… (on renvoie sur ce point à l’article 222-31-1 du code pénal)
On est en mesure encore une fois de s’interroger et surtout de se questionner sur l’efficacité à prévenir ces violences sexuelles que subissent de si petites victimes. Cette enquête nous indique en effet que l’âge moyen des premières violences sexuelles est de 10 ans. Autrement-dit, les violences sexuelles démarrent bien avant 10 ans pour certaines.
L’analyse de l’enquête est très claire : « Plus les victimes sont jeunes (moins de 10 ans), plus elles sont des filles, sont victimes d’inceste et sont victimes pendant de nombreuses années, plus les conséquences sur leur vie et leur santé à long terme sont graves. »
L’année dernière, une nouvelle loi a été votée dans le but de mieux protéger les mineurs contre les violences sexuelles, mais j’ose reposer la question : qu’attendons-nous pour enfin protéger et prévenir nos filles ? Qu’attendons-nous pour transmettre aux parents des outils efficaces de prévention ? Qu’attendons-nous pour inviter les parents, dès l’annonce du sexe de l’enfant in utero, à prendre connaissance de ressources sur le sujet des violences sexuelles ?
Alors que l’enquête IPSOS s’est déroulée du 10 septembre au 19 septembre 2019, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt, le premier jour de l’enquête, soit le 10 septembre, qui illustre parfaitement où en est le droit français sur le sujet.
Les faits sont simples : une mineure de 14 ans a été violée par sodomie après administration de drogue, par le concubin de sa tante âgé de 29 ans. Les parents déposent plainte pour viol. Le juge d’instruction requalifie en délit d’atteinte sexuelle et renvoie devant le tribunal correctionnel. Il est interjeté appel. La chambre de l’instruction de la cour d’appel confirme le renvoi devant le tribunal correctionnel (comprenez, il n’y a pas viol mais atteinte sexuelle, avec acte de pénétration mais sans violence, contrainte, menace et surprise, c’est un délit, pas un crime !) et un pourvoi en cassation est formé.
Décision de la Cour : la chambre criminelle de la Cour de cassation reprend les éléments de faits pour confirmer que la chambre de l’instruction a suffisamment justifié sa décision, autrement-dit, il n’y a pas viol mais juste un délit.
« Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, de l’ordonnance qu’il confirme et des pièces de la procédure que le 24 décembre 2015, les époux J… et S… R… ont déposé plainte avec constitution de partie civile pour viol sur leur fille mineure, Y… R…, alors âgée de 14 ans et demi à l’encontre du concubin de sa tante, M. E… B… ; qu’après avoir mis ce dernier en examen du chef de viol et d’agression sexuelle de janvier 2014 au 29 mai 2015 le juge d’instruction l’a, après requalification, renvoyé devant le tribunal correctionnel pour atteintes sexuelles sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité sur la victime ; que les parties civiles ont interjeté appel de cette décision ;
« Attendu que, pour confirmer l’ordonnance du juge d’instruction l’arrêt relève qu’Y… R… a rejoint M.E… B… à son domicile sur rendez-vous donné par SMS et a de sa propre initiative reniflé le flacon de poppers qu’il lui a présenté en lui demandant de le sentir, qu’il résulte de ses propres déclarations que ce dernier n’a pas fait usage de menace ou de violence à son encontre et qu’elle ne lui a pas exprimé son absence de consentement ; que les juges ajoutent que les SMS échangés avant les faits de sodomie du 15 mai 2015 établissent qu’elle s’est rendue sans contrainte chez le compagnon de sa tante et a reconnu avoir menti à sa mère pour dissimuler ce rendez-vous ; qu’ils ajoutent de plus que son attitude juste après les faits, rapportée par sa soeur et révélée par les SMS échangés les 24 et 26 mai 2015 confirme sa proximité évidente avec M. E… B…, âgé de 29 ans, et contredit ce qu’elle dénonce, qu’est aussi contredite la contrainte qu’il aurait continué à exercer sur elle après les faits du 15 mai 2015 par l’envoi de SMS à caractère sexuel, par la camarade de classe et le professeur qui ont lu le SMS lequel ne comporte aucune allusion sexuelle ; que la chambre de l’instruction en conclut l’absence d’élément de violence, contrainte, menace ou surprise de la part de M. B… à l’égard d’Y… R… ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, la chambre de l’instruction qui apprécie souverainement les faits retenus à la charge de la personne mise en examen a, par des motifs exempts d’insuffisance, justifié sa décision ; »
L’enquête IPSOS rapporte dans le même sens que :
« Peu de plaintes sont déposées et la justice peine à traiter ces délits et ces crimes, la situation ayant tendance à s’aggraver puisque les derniers chiffres officiels d’Infostats justices (bulletins de février et septembre 2018) montrent que 74% des plaintes pour viols (que ce soit pour les adultes que pour les mineurs) sont classées sans suite, que la moitié des plaintes instruites sont déqualifiées en agression sexuelles ou atteintes sexuelles, et qu’au final seules 10% des plaintes sont jugées aux assises ou au tribunal pour enfants, avec une diminution des condamnations pour viol de 40% depuis 10 ans. Dans l’enquête, 14% de l’ensemble des victimes de violences sexuelles ont porté plainte, et 24% des victimes de viol. Et sur la période prise en compte 32% de ces plaintes (39% des plaintes pour viols) sont classées sans suite (actuellement c’est pire, deux fois plus de plaintes sont classées sans suite), et 32% de ces plaintes (et 42% lors de viols) sont l’objet de déqualifications. Et seulement la moitié de ces plaintes ont abouti à une condamnation.Ces chiffres mettent en lumière l’impunité dont bénéficient ces violences d’autant plus inquiétante qu’elle s’aggrave depuis 10 ans. »
Devant ce constat effrayant, force est de constater que nous en sommes toujours au même point. La justice française ne protège pas les filles de moins de 18 ans et, encore moins de 10 ans, contre les viols.