Lorsque l’on analyse les scénarios traumatiques de violences sexuelles subis par les enfants on constate que bien souvent le mot « oui » est présent. L’enfant a dit « oui » à l’agresseur, à l’auteur. Non parce qu’il a pensé à ce qui allait lui arriver mais parce qu’il a répondu à une question, parce qu’il a voulu bien faire, parce qu’on l’a sollicité. Dire « oui » à un adulte ne signifie pas qu’on souhaite être violé.
En réalité, la définition juridique du viol telle qu’en dispose le droit pénal français demande à toute victime de violences sexuelles de répondre à la question : souhaitiez-vous ou non subir des violences sexuelles.
Cette construction juridique est inadaptée à la réalité des violences sexuelles. Nous l’avions déjà expliqué dans plusieurs articles. Mais surtout, elle maintient notre société dans une impasse tant s’agissant de la protection des enfants contre toutes les formes de violences sexuelles et en particulier de l’inceste et aussi s’agissant des dispositifs de prévention.
L’article 311-1 du code pénal définit le vol comme étant « la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui », « le vol est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (art. 311-3).
Or, s’agissant des violences sexuelles, que ce soit une agression sexuelle ou un viol, la loi dispose qu’il doit exister des circonstances spécifiques à la commission du délit ou du crime. Ainsi, « constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise« .
Autrement-dit, de manière intrinsèque, est constituée juridiquement l’infraction d’agression sexuelle à partir du consentement de la victime au délit d’agression sexuelle.
En définissant de cette manière les violences sexuelles, est nié ce que les scénarios traumatiques vécus par les victimes ne cessent de montrer : qu’il s’agit avant tout d’un acte d’un auteur commis à l’encontre d’une autre personne. L’agression n’est ainsi jamais définie proprement dit. Alors que le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui, l’agression sexuelle qui est aussi de nature délictuelle est définie à partir d’un contexte de consentement. Or, il n’est jamais demandé juridiquement à la personne qui a été volée si elle souhaitait l’être ou non.
Cet écueil de notre droit français ruine nos capacités à protéger les enfants et en particulier les toutes petites victimes, de moins de 6 ans qui lorsqu’elle révèle avec leurs mots ce qu’elles ont subi dans leur corps ne sont ni entendues, ni crues, ni bien souvent entendues aux UMJ et encore moins protégé d’un parent qui serait l’agresseur. Parce que non seulement on maintient l’oeuvre de notre histoire du droit qui a définit historiquement le viol comme étant le coït d’une femme avec un homme autre que son mari et en plus on demande à la victime de justifier du contexte de la commission de l’atteinte sexuelle sur son corps à elle.
Un enfant et ses mots ne résistent pas à cette mascarade des mots du droit. Les enfants victimes d’inceste ne sont donc ni entendus dans leur gènes manifestées, ni soutenus correctement par les autorités judiciaires.
Le 10 octobre 2019, en Salle du Conseil de l’Université Panthéon Assas Paris 2, s’est tenu un Colloque « comment incriminer les agressions sexuelles sur les mineurs » initié par le Collectif pour l’enfance. Lors des débats, il a notamment été exposé que les enfants victimes se retrouvent face à des stratégies de défense des agresseurs très agressives :
« c’est ce qui s’est passé dans l’affaire de Pontoise, on peut avoir des Défenses très agressives, du type “les enfants d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier et à 10 ans ou 11 ans, ils sont hyper sexualisées”
Sur une affaire à Bourges, deux sœurs de 13 et 16 ans avaient dénoncé des viols et agressions sexuelles commis par un voisin de 70 ans. La défense était extrêmement agressive, elle disait que les jeunes filles “étaient provocantes, qu’elles portaient des décolletés, qu’elles avaient des shorts courts, qu’elles se frottaient en passant derrière le vieux monsieur, qu’elles le cherchaient”. Lui disait qu’il était tombé dans le piège des gamines, c’était sa défense. Défense traumatisante pour les victimes. Il a pu utiliser cette stratégie parce qu’il n’y a pas de présomption de non consentement. En l’occurrence il a contesté la contrainte et la surprise parce qu’il pouvait le faire.
Sans cette présomption de non consentement on a des procès sur-traumatisants pour les enfants victimes de violences sexuelles. À cette violence première s’ajoute la violence de la procédure pénale »
Les conclusions du Colloque sont claires, elles l’expriment ainsi « tant qu’on passera par les adminicules (prouver la contrainte, menace, surprise ou violence) on n’échappera pas à ces discussions infinies sur : a-t-il ou non consenti ? »
Il serait intéressant de créer un chapitre dans le code pénal français qui viserait à la protection du développement psychologique des mineurs ou de garder le chapitre de la mise en péril des mineurs en y intégrant l’incrimination des actes sexuels intentionnels commis par un majeur sur un mineur de moins de 13 ans. Pour une coïncidence avec l’âge de la responsabilité pénale des agresseurs.
L’âge de la victime quitterait les circonstances aggravantes pour rejoindre celui des éléments constitutifs de l’infraction. La pénétration sexuelle quitterait les éléments constitutifs pour rejoindre les circonstances aggravantes.
Exit tout débat sur le consentement. Exit toute preuve des adminicules.
Fin ou réduction de l’atteinte sur mineur et de la crainte d’une augmentations des correctionnalisations d’agressions sur mineurs. »
Cette proposition est prometteuse et permettrait enfin de rendre compte de la réalité des violences subies par les enfants. Car, tout enfant est rendu « acteur » des violences qu’il subit. On lui demande ceci, cela. On lui demande de toucher, on lui demande de se laisser toucher. Dans les situations d’inceste, les auteurs de violence utilisent très souvent la dimension affective pour imposer des actes de violences sexuelles aux enfants. Et le développement psycho-affectif des enfants les empêche de pouvoir s’auto-protéger.
La réalité montre que l’auto-protection des enfants est en fin de compte plus une information donnée à l’enfant, qui vient rassurer l’adulte, le parent. Or, la seule protection d’un enfant contre des violences sexuelles est un parent protecteur, informé et conscient de la réalité de ces violences, des adultes autour de lui protecteurs, informés et conscients de la réalité de ces violences et donc la nécessité d’une loi dont le contenu est clair et porte cet impératif de protection au nom de la société et en son coeur.
Le Conseil de l’Europe dans son rapport du 19 novembre 2019 a d’ailleurs épinglé la loi française sur la définition juridique du viol :
« Au plan législatif, la définition des agressions sexuelles et du viol ne repose pas sur l’absence d’un consentement libre mais exige le recours à la violence, contrainte, menace ou surprise. Le GREVIO constate les insuffisances de la réponse pénale aux violences qui témoignent d’une difficulté du système à s’assurer que les auteurs de toutes les formes de violence visées par la Convention ont à répondre de leurs actes. La pratique judiciaire de correctionnalisation, permettant de requalifier le délit de crime de viol en délit d’agressions sexuelles, minimise la gravité du viol et fait porter les conséquences du dysfonctionnement du système judiciaire sur les victimes. »
Dans son rapport, le GREVIO est encore plus précis « En s’alignant sur les préconisations de la convention, une définition des violences sexuelles axée sur l’absence d’un consentement libre permettrait, de l’avis du GREVIO, de pallier les insuffisances qui emergent de la situation actuelle : d’un côté, une forte insécurité juridique générée par les interprétations fluctuantes des éléments constitutifs que sont la violence, la contrainte, la menace et la surprise ; d’un autre côté, l’incapacité desdits éléments probatoires à englober la situation de toutes les victimes non consentantes, notamment lorsque celles-ci sont en état de sidération »
Les violences sexuelles sont des violences qui s’exercent sur le corps de la victime et qui par leur impact viennent traumatiser leur mémoire ainsi que leur corps. La définition juridique des agressions sexuelles et du viol ne tient pas suffisamment compte non plus de cette réalité. On attend de la victime y compris de l’enfant qu’il puisse nous dire précisément comment ça s’est passé pour lui, comment a été touché son corps et qu’il nous restitue ses souvenirs de manière précise. Or, les violences sexuelles sont un processus d’atteintes sensorielles multiples sur le corps et les parties intimes. Ne focaliser que sur les formes de violences, menace, surprise ou contrainte revient à nier le processus même d’agression commis à l’encontre de l’enfant. La loi invite ainsi le magistrat à rechercher des preuves précises de l’agression et occulte le rapport de soumission, domination, mise sous terreur créé par l’auteur des violences sexuelles et qui vient paralyser l’enfant victime ou l’adulte victime.
Le Collectif féministe contre le viol depuis plus de 30 ans a identifié en comparant plus de 59 000 témoignages que tous les auteurs de violences sexuelles agissaient selon une même stratégie : choisir la victime, l’isoler, la mettre sous terreur ou créer une emprise, inverser la culpabilité et assurer son impunité. A ce jour, ces éléments n’ont toujours pas été pris en compte dans la loi alors qu’ils sont le reflet du processus même des violences sexuelles.
A la suite de l’enquête IPSOS, M Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de la Protection de l’Enface a réagit en annonçant un plan de lutte contre les violences faites aux enfants.
Les deux premières mesures du plan sous l’intitulé « Ouvrez les yeux, parlez-moi » sont :
- 1. Investir le temps périscolaire en s’appuyant sur les associations.
- 2. Renforcer la prévention des violences sexuelles à l’école
Ce sont en effet deux mesures qui paraissent indispensables pour favoriser l’auto-protection des enfants, mais est-ce à eux d’apprendre à s’auto-protéger d’auteurs qui ont tous une stratégie d’agression ? d’autant que cela fait des années que ces mesures sont déjà inscrites dans les programmes et qu’elles ne sont tout simplement pas mises en oeuvre (1 séance de prévention par trimestre en principe de la maternelle au lycée).
Ce plan s’il porte quelques réflexions innovantes n’est cependant pas à la hauteur d’une protection réelle et efficiente des enfants contre les violences sexuelles. Pas un mot sur l’inceste qui représente la majorité des violences sexuelles subies par les enfants. Pas un mot non plus sur l’édiction d’un nouvelle loi pénale qui serait enfin adaptée pour protéger les enfants.
Il faut que le message passe plus clairement encore, un enfant n’est jamais consentant, qu’il dise oui ou non.