Education nationale vs. pédocriminalité : encore le même combat

Il y a environ un an, jour pour jour, la Ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem annonçait de nouvelles mesures dans le but de lutter activement contre la pédocriminalité à l’école.

Suite aux aveux d’actes de pédocriminalité dans le cadre scolaire, des viols commis par un directeur d’une école primaire à l’encontre de deux élèves de CP dans l’Isère à Villefontaine, des mesures avaient été annoncées :

« Le gouvernement introduira dans le projet de loi relatif à l’adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne (dit DADDUE pénal), examiné dès le 1er juin 2015 à l’Assemblée nationale, une disposition législative pour garantir une obligation de transmission par l’autorité judiciaire aux autorités administratives des informations sur les procédures et condamnations, notamment pour infractions de nature sexuelle, mettant en cause leurs agents exerçant une activité au contact habituel des mineurs. La mission conjointe d’inspection a en outre été chargée d’examiner, en lien avec les ministères, les conditions dans lesquelles un contrôle pérenne pourrait être organisé pour repérer les agents publics qui auraient été condamnés sans avoir fait l’objet d’un signalement à leur administration. »

 

A la suite de quoi, un réseau de référents académiques justice a été créé (voir circulaire du 11 mars 2015) afin :

« d’assurer l’interface entre l’éducation nationale et l’autorité judiciaire pour toutes les affaires qui concernent :

– les élèves victimes ou mis en cause pour des faits commis dans le cadre scolaire

– les agents, victimes à l’occasion de l’exercice de leur fonction, mis en cause ou condamnés. »

Si l’objectif se veut rassurant pourtant les termes de la circulaire sont étonnants. Ainsi il s’agirait aussi de protéger les agents publics qui seraient victimes à l’occasion de l’exercice de leur fonction mais aussi de lutter drastiquement contre les élèves mis en cause.

La confusion ainsi opérée par les termes employés de la partie de la circulaire consacrée à définir les missions du réseau de référents est très contestable.

S’agissait-il bien de protéger des mineurs contre des violences sexuelles dont ils sont victimes au sein du cadre scolaire ?

La circulaire précisait pourtant bien que « pour permettre à l’autorité judiciaire et à l’éducation nationale d’assurer leur mission de protection des mineurs, la transmission d’informations vers les référents justice du ministère chargé de l’éducation nationale concernera les procédures diligentées pour des infractions commises au préjudice de mineurs et notamment les faits de violences volontaires, de pédopornographie et les infractions de nature sexuelle visées à l’article 706-47 du code de procédure pénale« .

Cet article 706-47 du code de procédure pénale vise précisément les :

1° Crimes de meurtre ou d’assassinat prévus aux articles 221-1 à 221-4 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur un mineur, précédés ou accompagnés d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie, ou lorsqu’ils sont commis en état de récidive légale ;

2° Crimes de tortures ou d’actes de barbarie prévus aux articles 222-1 à 222-6 du même code ;

3° Crimes de viol prévus aux articles 222-23 à 222-26 dudit code ;

4° Délits d’agressions sexuelles prévus aux articles 222-27 à 222-31-1 du même code ;

5° Délits et crimes de traite des êtres humains à l’égard d’un mineur prévus aux articles 225-4-1 à 225-4-4 du même code ;

6° Délit et crime de proxénétisme à l’égard d’un mineur prévus au 1° de l’article 225-7 et à l’article 225-7-1 du même code ;

7° Délits de recours à la prostitution d’un mineur prévus aux articles 225-12-1 et 225-12-2 du même code ;

8° Délit de corruption de mineur prévu à l’article 227-22 du même code ;

9° Délit de proposition sexuelle faite par un majeur à un mineur de quinze ans ou à une personne se présentant comme telle en utilisant un moyen de communication électronique, prévu à l’article 227-22-1 du même code ;

10° Délits de captation, d’enregistrement, de transmission, d’offre, de mise à disposition, de diffusion, d’importation ou d’exportation, d’acquisition ou de détention d’image ou de représentation pornographique d’un mineur ainsi que le délit de consultation habituelle ou en contrepartie d’un paiement d’un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation, prévus à l’article 227-23 du même code ;

11° Délits de fabrication, de transport, de diffusion ou de commerce de message violent ou pornographique susceptible d’être vu ou perçu par un mineur, prévus à l’article 227-24 du même code;

12° Délit d’incitation d’un mineur à se soumettre à une mutilation sexuelle ou à commettre cette mutilation, prévu à l’article 227-24-1 du même code ;

13° Délits d’atteintes sexuelles prévus aux articles 227-25 à 227-27 du même code.

 

Or, et c’est là qu’il est nécessaire d’être attentif au contenu de l’ensemble des dispositions de cette circulaire, s’agissant du moment de l’information, il a été décidé que le référent sera toujours informé des décisions de condamnation.

Cela signifie qu’entre le moment de la révélation du premier acte de pédocriminalité et la condamnation, le temps peut suffisamment s’écouler pour que le pédocriminel agresse de nouvelles victimes mineures.

D’ailleurs, la circulaire est très claire et c’est un euphémisme :

« s’agissant de l’information en cours de procédure, et conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, le secret de l’enquête et de l’instruction n’est pas opposable au ministère public qui, dans l’exercice des missions que la loi lui attribue, peut apprécier l’opportunité de communiquer à un tiers des informations issues d’une procédure en cours, dans le respect de la présomption d’innocence« .

Ainsi, le ministère public, celui-là même qui choisit de poursuivre ou non un violeur d’enfants, pourra décider ou non de transmettre l’information au référent, le tout dans le respect de la présomption d’innocence.

Or, c’est précisément ce principe juridique de la présomption d’innocence qui a pour effet que notre société française reste figée dans son incapacité à enrayer la pédocriminalité.

Cette présomption, arme des pédocriminels, leur permet de ne pas être démasqué dans la mesure où elle vient compléter l’arsenal des outils de leur stratégie d’agresseur. Cette présomption, appuyée par la stratégie qui vise à contraindre les victimes au silence, permet au pédocriminel d’être toujours considéré comme innocent jusqu’à la dernière seconde avant le prononcé de la condamnation et aussi entre temps de bénéficier du doute pour ne pas être condamné.

Cela va sans dire qu’en regardant les récents nouveaux actes de pédocriminalité commis dans une école de Coulommiers, le dispositif des référents, qui ne permet qu’une action a postériori et non a priori, respecte avec la plus grande efficacité la présomption d’innocence.

Et, les faits qui sont rapportés sont d’autant plus terribles qu’il a été nécessaire à une fillette de 10 ans de prouver par vidéos ses dires, c’est-à-dire d’affronter à nouveau l’agresseur pour prouver qu’elle et ses camarades étaient victimes de violences sexuelles !

Franck Riester, député maire de Coulommiers, s’est donc adressé aux parents d’élèves en leur expliquant qu’au niveau judiciaire l’enquête avait été confiée à la Brigade des mineurs de Seine et Marne ; que par ailleurs, des mesures de sécurité seraient prises jusqu’à la fin de l’année : encadrement systématique par deux animateurs de chaque activité proposée dans le cadre des accueils pré/post scolaires, de restauration, des TAP et des accueils de loisirs sans hébergement, ouverture d’une cellule psychologique à l’école Jehan de Brie et un numéro d’écoute.

Cette situation, ces faits, rappellent instamment que la prévention des violences sexuelles est plus que nécessaire. Pour cela, c’est toute la chaîne de protection des mineurs qui doit être revisitée et formée à la prévention et au repérage des violences sexuelles.  

D’abord, il faut informer, expliquer et apprendre aux parents à écouter les paroles de leurs enfants. Car, les enfants parlent et montrent les souffrances qu’ils endurent. Il faut apprendre aux parents comment adopter une démarche préventive et comment prévenir les violences sexuelles qui pourraient être commises à l’encontre de leurs enfants. Car, dans cette histoire, c’est aux victimes, enfants, mineurs, une fillette de 10 ans qu’il a fallu prouver par l’image, une vidéo, ce qu’elle dénonçait ! Il est insupportable que la charge de la preuve de violences sexuelles incombe aux enfants qui en sont victimes et y compris dans le cercle familial qui est censé protéger l’enfant et avant tout le croire !

Ensuite, il faut informer, expliquer et apprendre aux enseignants, animateurs, éducateurs et à toutes les personnes en contact directe avec des enfants au sein du cadre scolaire ce que sont les violences sexuelles et les traumatismes et souffrances qu’elles génèrent. Il faut les informer, leur expliquer et leur apprendre comment écouter les paroles des enfants. Il faut les informer, leur expliquer et leur apprendre comment prévenir les enfants des violences sexuelles qui pourraient être commises à leur encontre.

Enfin, il faut que l’Education nationale :

– renforce drastiquement l’ensemble de son dispositif de prévention des violences sexuelles à tous les niveaux de formation : de la première année de maternelle à la terminale.

– oblige à la mise en oeuvre de l’ensemble du dispositif de prévention

– impose une formation obligatoire sur les violences sexuelles pour tout nouvel enseignant, éducateur scolaire ou autre membre de toute équipe pédagogique

– impose une formation continue obligatoire sur les violences sexuelles pour tout fonctionnaire et agent déjà en poste

– diffuse des campagnes d’informations et de prévention sur l’ensemble du territoire national

– impose à l’ensemble de la classe politique élue (député-maire, maire, sénateur) la signature d’une Charte commune de bonnes pratiques visant à prévenir les violences sexuelles par laquelle un consensus serait créé pour promouvoir et rendre effective la prévention des violences sexuelles en milieu scolaire et familial.

Le ministère de l’Education nationale doit nécessairement gagner ce combat contre la pédocriminalité, cesser de conforter des agresseurs dans leur stratégie en arguant de la présomption d’innocence et engager une réelle démarche préventive visant à protéger tous les mineurs, ayant accès à des établissements scolaires, contre toutes les formes de violences sexuelles.
Voir également :

– la circulaire du 11 mars 2015 relative à la communication aux administrations publiques et aux organismes exerçant une prérogative de puissance publique d’informations ou copies de pièces issues des procédures pénales dilligentées contre des fonctionnaires et agents publics

– le communiqué de presse du Ministère de l’Education nationale du 24 septembre 2015 annonçant le partenariat renforcé entre l’Education nationale d’une part et le Ministère de la justice pour la protection des mineurs

– l’article du Parisien du 23 mai 2016 « Animateur pédophile présumé à Coulommiers ».