Le foetus, victime non reconnue des violences conjugales

En France, une femme sur dix est victime de violences conjugales. Et, avec elles, ses enfants. Aucune statistique n’existe cependant sur le nombre d’enfants victimes de violences conjugales mais on peut estimer que leur nombre est considérable. Bien que ce chiffre manque, il n’est pourtant plus nécessaire de prouver que les enfants sont aussi des victimes de violences conjugales et non simplement des témoins.

Les conséquences des violences conjugales subies par les enfants sont dramatiques. »Les enfants victimes des violences conjugales sont traumatisés. Ils sont particulièrement exposés à des troubles psychotraumatiques lors des violences conjugales du fait de leur vulnérabilité, de leur dépendance affective et physique, de leur immaturité psychique et physiologique, de leur impuissance, et de leur situation d’être en construction et en devenir. Comme ils vivent dans un climat de grande insécurité et de terreur, toute leur énergie passe dans la mise en place de stratégies de survie et de défense », nous explique le Docteur Salmona.

Elle ajoute également qu’il est donc essentiel de les protéger, d’assurer leur sécurité et de leur donner des soins spécialisés. Pourquoi ? Car ces enfants victimes de violences conjugales présentent davantage de problèmes de santé : retard de croissance, allergies, troubles ORL et dermatologiques, maux de tête, maux de ventre, troubles du sommeil et de l’alimentation. Ils sont plus souvent victimes d’accidents: 8 fois plus d’interventions chirurgicales. Ils présentent fréquemment des troubles de l’adaptation: phobies scolaires, angoisse de séparation, hyperactivité, irritabilité, difficultés d’apprentissage, et des troubles de la concentration. Ils présentent fréquemment aussi des troubles du comportement, 10 à 17 fois plus que des enfants dans un foyer sans violence, dont des comportements agressifs vis à vis des autres enfants, 50% des jeunes délinquants ont vécu dans un milieu familial violent dans l’enfance. Les troubles psychotraumatiques peuvent représenter pour ces enfants un risque vital, particulièrement à l’adolescence avec une augmentation du risque d’avoir un accident mortel et une augmentation importante du risque suicidaire, qui est multiplié par vingt. Et, au final, l’avenir de ces enfants traumatisés par les violences conjugales présentent à l’âge adulte des risques supplémentaires: d’être à nouveau victimes de violences tout au long de leur vie, de présenter des conduites agressives, à risque, des conduites délinquantes, des troubles psychiatriques. 40 à 60% des hommes violents avec leur partenaire ont été victimes de violences conjugales dans leur enfance. Pour lire l’étude complète sur ce sujet réalisée par le Dr Salmona, voir l’article Violences conjugales publié sur son site memoiretraumatique.org

Prenant en compte ces conséquences dramatiques pour les enfants, le législateur a d’ailleurs renforcé le dispositif de protection contre les violences conjugales en votant la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. C’est ainsi qu’est née l’ordonnance de protection.

L’article 515-9 du code civil dispose désormais que « lorsque les violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection ». Sur ce point, lire le protocole de mise en œuvre de l’ordonnance de protection.

Ainsi en plus du fait que des dispositions pénales permettent de réprimer les violences conjugales envers les femmes et les enfants, les dispositions civiles ainsi renforcées visent à les protéger de l’ensemble des conséquences physiques, sexuelles et psychotraumatiques dont ils peuvent aussi être victimes du fait de ces violences.

Or, en pratique, on sait que les violences conjugales débutent très souvent au moment de la grossesse. Cela signifie que bien avant que l’enfant naisse, celui-ci est déjà victime in utéro dans le ventre de sa mère. 

L’étude du Dr Salmona portant sur les violences conjugales subies par les enfants dès leur vie foetale est éclairante :

« Dans 40 % des cas les violences conjugales commencent pendant la grossesse et peuvent être plus graves pendant la grossesse pour 2 femmes sur 3 ; 4 fois plus de femmes signalent de très mauvais traitements pendant la grossesse : coups, menaces avec armes, agressions sexuelles. Les femmes qui subissent des violences conjugales ont un moins bon suivi de leur grossesse et plus de facteurs de risque : hypertension artérielle, tabagisme, prise d’alcool‏.

Le fœtus se retrouve alors en danger. Il est exposé à un stress physiologique important, avec des retentissements cardio-vasculaires et neurologiques, à un risque d’avortement : deux fois plus de fausses-couches chez les femmes victimes de violences conjugales, à une mort in utero par décollement placentaire ou rupture utérine, à une hémorragie fœto-maternelle, à un accouchement prématuré (37% d’augmentation de risque), une souffrance néo-natale, à un petit poids de naissance (17 % d’augmentation de risque)‏.

Après la naissance le nouveau-né se retrouve doublement en danger : 

  • directement par la violence du père qui peut s’abattre sur lui : dans 3 cas sur 4 de violences conjugales et 
  • indirectement par les violences que la mère continue à subir : dans 90 % des cas les violences conjugales continuent après l’accouchement, lesquelles vont retentir sur les soins donnés à l’enfant et sur le lien mère-enfant, et être traumatisantes pour l’enfant. 

En effet, le nouveau-né est très sensible aux effets de la violence qui l’entoure et il va développer d’importants troubles psychotraumatiques qui risquent de le mettre encore plus en danger : les pleurs continuels, les troubles importants du sommeil et de l’alimentation, le retard de développement psycho-moteurs peuvent être des facteurs de risque supplémentaires de maltraitance : bébé secoué, étouffement, etc. »

La maltraitance des nourrissons est un sujet connu même si il n’existe que peu d’études en France sur le sujet et les dispositifs visant à les protéger sont bien trop insuffisants. Voir à ce sujet :

– le rapport Les morts violentes de nourrissons : trajectoires des auteurs, traitements judiciaires des affaires, remis à l’ONED et réalisé sous la direction de Anne Tursz (Inserm-CNRS), avec la collaboration de Pascale Gerbouin-Rérolle, Jon Cook et Laurence Simmat-Durand, en février 2011, première réelle étude sur le sujet qui vise à mettre en parallèle les expertises médicales menées sur des nourrissons morts de morts violentes et leurs conséquences juridiques.

– l’article Maltraitance des nourrissons, il est temps d’agir du Dr Brigitte Blond et David Bême rédacteur en chef du site Doctissimo qui entendent tirer la sonnette d’alarme au sujet des maltraitances subies par les nourrissons faisant suite à la parution du rapport d’Anne Tursz.

– la Fiche Mémo : maltraitance chez l’enfant, repérage et conduite à tenir produite par la Haute Autorité de la Santé contenant des indicateurs pour repérer à tout âge les signes de maltraitances sur les enfants et y compris celles sur les nourrissons.

– le tome n°56 de la revue Laennec Santé Médecine Ethique titré la  Maltraitance à Enfant, dans lequel Étienne Mireau nous offre un article sur la Maltraitance du nourrisson : le syndrome du bébé secoué.

– le numéro 90 du magazine Réalités familiales de l’UNAF titré Les effets de la violence conjugale sur l’enfant.

Lorsque l’on lit en parallèle ces quelques documents et qu’on s’attache à identifier le cadre dans lequel les maltraitances sur les nourrissons sont commises, on constate que dans la très grande majorité des cas elles sont le fait des parents, au sein même du domicile familial.

La Haute autorité de la santé note que « plus de 80 % des mauvais traitements sont infligés au sein de la famille. La maltraitance est caractérisée par son début précoce et sa chronicité. » Elle rapporte aussi que « les situations associées à un risque de maltraitance sont en particulier : chez l’enfant : la prématurité, des troubles du développement et/ou du comportement, le handicap et chez les parents : tout événement qui peut rendre difficile l’attachement précoce avec le nouveau-né (séparation néonatale, dépression du postpartum), des antécédents personnels de violences subies dans l’enfance, des violences conjugales notamment.

S’agissant spécifiquement des cas de néonaticides, les facteurs qui expliquent le passage à l’acte sont des facteurs dit d’ordre relationnel. Dans la moitié des cas, « le couple est confronté à des difficultés au moment des faits ». La plupart des mères souffrent de troubles psychotraumatiques, ont une image d’elle-même dévalorisée, sont repliées sur elle-même et sont dans une dépendance à l’autre. Cette étude montre également que les pères ne sont quasiment jamais inquiétés des néonaticides. Seules les mères doivent rendre compte à la justice. Pourtant, force est de constater qu’à la lecture de cette étude, on comprend aisément le contexte de la commission de ces crimes : les violences conjugales.

Alors, si les femmes enceintes sont les premières victimes directes des violences conjugales et que les nourrissons sont les secondes victimes de violences conjugales puisque dans 3 cas sur 4 ils subiront dès leur naissance les accès de violence de leur père, on est en mesure de dire que le foetus est lui aussi véritablement une victime des violences conjugales. 

Or, in utero, le foetus ressent tout. Il ressent les coups reçus de son père sur sa mère. Il peut être écrasé par le poids de son père. Il ressent la souffrance éprouvée par sa mère lorsque son père la viole. Il ressent la souffrance psychique de sa mère lorsque son père la violente psychologiquement, l’insulte, la menace, la rabaisse. Il subit lui aussi tous les effets dramatiques d’une privation d’air, de nourritures et ou de soins nécessaires à sa mère. Les violences conjugales subies par la mère peuvent l’amener à se mettre elle même en danger, à consommer de manière excessive de l’alcool, du tabac ou des drogues. Le travail et l’accouchement peuvent être des moments de souffrances extrêmes aussi bien pour le foetus que pour la mère du fait des violences conjugales subies notamment en rallongeant le travail ou du fait d’une descente plus difficile du foetus et en particulier du fait des violences sexuelles subies par la mère durant sa grossesse. Le foetus pourra ainsi naître prématurément, avec un plus petit poids, avec des membres cassés, avec des troubles psychotraumatiques.

Noémie Rousseau, sage-femme, dans son mémoire Les sages-femmes face aux violences conjugales pendant la grossesse nous explique plus précisément que :

« les violences pendant la grossesse sont encore plus graves car elles retentissent à la fois sur la mère et sur le fœtus. Plusieurs explications ont été avancées afin de comprendre comment ces violences font courir à la grossesse un risque supérieur à la moyenne :

  • La grossesse peut ne pas être désirée. Elle peut être la conséquence d’un viol conjugal, avoir été désirée par le couple pendant une période d’accalmie ou être la conséquence de l’impossibilité pour la femme d’utiliser une contraception. Elle aboutit alors à des interruptions volontaires de grossesse, à des déclarations tardives et à de mauvais suivis de grossesse.
  • Les abus physiques, sexuels ou affectifs peuvent entraîner indirectement une issue défavorable de la grossesse car ils s’associent souvent à un tabagisme, parfois à l’usage d’alcool ou de drogues, à une malnutrition, à une anémie maternelle, à des infections urinaires. Toutes ces conditions retentissent sur l’évolution de la grossesse et l’état de l’enfant.
  • La tension nerveuse, l’anxiété, la crainte et les troubles dépressifs occasionnés par les violences peuvent entraîner des perturbations hormonales et être à l’origine de complications obstétricales.
  • Enfin les violences physiques en elles-mêmes, par un effet mécanique direct, peuvent avoir de graves conséquences sur la grossesse.

Tous ces facteurs font que la violence est liée à un risque accru d’avortement spontané, de menace d’accouchement prématuré, d’hypertension artérielle, de rupture prématurée des membranes, d’accouchement prématuré, de décollement placentaire, d’hémorragie foeto-maternelle voire de rupture utérine et jusqu’à la mort maternelle ou la mort fœtale in utéro. Pour l’enfant à naître, les conséquences peuvent être dramatiques allant du retard de croissance intra-utérin à la mort fœtale. Les lésions fœtales restent rares car le fœtus est protégé par le liquide amniotique, cependant des fractures des membres ainsi que des plaies par armes blanches ont été recensées.

On renvoie aussi sur ce point aux articles suivants :

La violence commence dans l’utérus du Dr Emmanuelle Piet

L’impact des violences conjugales sur les enfants du Dr Salmona

Conséquences des violences conjugales sur le développement de l’enfant de Marthe Barraco de Pinto pour l’Association nationale des sages femmes.

Les femmes enceintes plus souvent touchées par les violences conjugales de Benjamin Leclercq

– Comprendre les répercutions de la violence conjugale sur la grossesse, le travail et l’accouchement de Lent, Morris, et Rechner.

Les enfants exposés aux violences conjugales de Karen Sadlier

L’enfant face à la violence dans le couple sous la direction de Karen Sadlier.

Si à la lecture de ces situations, il est clair que le foetus subit des dommages du fait des violences conjugales, qu’il est victime lui aussi des violences conjugales, pourtant en droit, aucun statut de victime ne lui est reconnu. 

Ce n’est que lorsqu’il sera sorti du ventre de sa mère, né vivant et viable, que pourra peut être lui être reconnu ce statut de victime dès lors que les violences conjugales sur sa mère auront été décelées, identifiées et prouvées en justice. Or, les fondements juridiques permettant de sanctionner tous les types de violences conjugales subies : psychologiques, verbales, physiques et sexuelles, ne manquent pas ; comme en atteste ce tableau synthétique des infractions sur lesquelles on peut fonder une action en justice :

Or, pour que le foetus soit reconnu victime, il faudrait qu’il puisse prendre la parole, raconter son calvaire utérin et nous dire ce qu’il a pu ressentir. Il faudrait qu’il nous raconte sa souffrance. Or, cela est impossible.

A tout le moins, une fois né, il pleurera beaucoup ou alors pas du tout. Certes les puéricultrices et sages femmes qui l’accompagneront durant ses premiers jours de vie à la maternité pourront constater en tant que professionnelles que ce nouveau-né ne va pas très bien, pourtant, aucun signalement ne pourra être établi ; excepté le cas peut être où des éléments tels que la constatation de fractures dès la naissance puissent attester de ses souffrances ou encore que la mère révèle les violences qu’elle a subies.

Comment alors protéger ce foetus ? Cet enfant à naître, des violences conjugales dont il est victime ? Cet enfant à naître qui ne nous dit pas en mots ses souffrances ?

Une première solution, fondamentale, est de prendre conscience de la réalité des violences conjugales au sein des couples, de leur déclaration et ou accroissement avec la grossesse et que, nécessairement, protéger la mère, c’est protéger le foetus, c’est à dire l’enfant à naître. Un repérage systématique devrait être mis en place durant la grossesse et l’ensemble du corps médical devrait être formé sur la question des violences conjugales et de leur exacerbation durant la grossesse. Voir sur ce point l’article de l’AFP La grossesse, un moment clé pour détecter les violences conjugales.

Une seconde solution, indispensable, est de renforcer l’ensemble des dispositifs visant à prévenir les violences conjugales. Pour cela, il est nécessaire que les pouvoirs publics se saisissent de manière renouvelée de cette question en intensifiant leurs actions notamment au sein des écoles, en les pérennisant, en gardant à l’esprit de façon constante l’existence de ces violences et en assurant chaque année sans les amoindrir le paiement des subventions aux associations mobilisées sur le terrain. Voir sur ce point notre page dédiée aux liens entre la prévention des violences sexuelles et les violences conjugales.

Car en réalité, bien que la mère soit protégée, si un dispositif juridique est mis en oeuvre, le foetus reste toujours l’oublié des victimes de violences conjugales. Aucun signalement ne sera fait pour lui, aucune attestation médicale ne sera signée, personne ne portera plainte pour lui auprès d’un policier ou devant un procureur, aucun administrateur ad hoc ne sera nommé, aucun juge des foetus ne prendra une mesure de protection, aucun juge correctionnel ne condamnera son père pour les coups reçus à travers le ventre de sa mère et/ou au motif des psychotraumatismes laissés, aucune commission d’indemnisation ne statuera sur le montant des préjudices auquel il aurait droit. Or, c’est pourtant toute sa vie durant qu’il gardera, en lui, les cicatrices de tels actes commis alors même qu’il n’était pas encore né.

Pourquoi ? Car, à ce jour, aucun dispositif juridique ne reconnait effectivement les préjudices physiques et psychiques liés aux souffrances que le foetus a enduré, ou que le nouveau-né a enduré in utero comme élément matériel d’une infraction pénale de violence. Le droit pénal français considère en vertu d’une application stricte de la loi pénale qu’autrui, terme utilisé pour désigner dans les articles du code pénal toute victime de violences, y compris conjugales, ne peut désigner le foetus. Autrui ne peut désigner qu’une personne juridique, entendue au sens d’un enfant né vivant, d’une personne humaine vivante, d’un enfant né vivant et viable au sens du droit civil.

Alors, si les violences conjugales subies par sa mère ne sont pas décelées au moment où elle est enceinte et ce bien que l’état de grossesse soit une circonstance aggravante de tout délit et ou crime de violence envers une femme, alors nécessairement, le foetus, passé au stade de nouveau-né sera de nouveau confronté à et victime de violences conjugales. Car alors, le conjoint violent ne sera pas évincé de la vie de la femme devenue mère et aussi de la vie quotidienne du nouveau-né; laissant libre champ de nouveau à la violence. Or, voici un aperçu de ce que ce nouveau né vivra :

« Regardons d’abord le climat de la famille perçu par le bébé quand un couple se dispute, voire se violente. C’est tout un climat de cris, d’excitation dans lequel le bébé baigne. Ces stimulations sont ingérables pour un nourrisson, elles le restent pour tout enfant, particulièrement, en deçà du langage, jusqu’à 3 ans environ. A cet age, il n’a pas le moyen de faire barrage à ces influx sensoriels et émotionnels, et, les personnes qui devraient filtrer pour lui toutes les sensations désorganisantes venant de l’extérieur, en le calmant, le berçant, le consolant, sont justement celles qui créent ce désordre, ce chaos. Le tout jeune enfant va inscrire ces vécus dans une mémoire sensorielle dit-on, non pas dans des souvenirs imagés récupérables ultérieurement, mais dans des morceaux de sensations diffuses, désagréables voire désorganisantes. Il n’a aucun moyen de se soustraire à ce climat, si ce n’est en sombrant dans un sommeil de fuite. Il peut aussi développer une hyper vigilance, être tendu dans tout son corps (hyper tonie) ou dans son regard comme pour guetter le danger. Ses manifestations de détresse comme les pleurs peuvent faire redoubler la violence : entraîner des cris en réponse du parent agresseur, contre lui, voire de l’autre parent aussi, dépassé par la situation, incapable de se montrer empathique pour son petit enfant. Le bébé risque d’être secoué avec les terribles conséquences que l’on connait ou il risque d’être oublié. Le cas le plus fréquent est celui ou c’est la mère qui est maltraitée. Elle peut se déprimer, ne plus ou ne pas, offrir à son bébé des inter-actions vivantes et stimulantes pour lui. Elle peut être sous le coup de stress post traumatique et ne plus assumer la gestion cohérente des soins à son enfant etc. Il est alors menacé de recevoir des soins primaires discontinus, chaotiques dans un contexte devenu carentiel pour lui. Or, au cours de ce premier temps de la vie, la maturation neurologique se poursuit, cette immaturité signifie que les structures neuro-anatomiques sont en place mais pas tous les circuits neuronaux, il existe une circularité entre les connexions neuronales et les connexions humaines. Des traces sur le cerveau sont visibles aujourd’hui grâce aux analyses neuro-biologiques et à l’imagerie médicale. Les IRM sur les jeunes enfants ayant vécu dans un contexte de violence conjugale, montrent des séquelles de ces dysfonctionnements qui ont entraîné des modifications neurologiques. Tous ces marqueurs sont identiques à ceux qu’on observe chez les personnes souffrant de stress post-traumatique – dysfonctionnement du système limbique, perturbations du système nerveux autonome, troubles du métabolisme de la dopamine, concentration anormale de bêta endorphines et de dérivés opioïdes endogènes au niveau cérébral, dysfonctionnement de l’axe hypothalamo-surrénalien avec des troubles du métabolisme du cortisol. Pour voir l’ensemble de l’article, lire les Conséquences des violences conjugales sur le développement de l’enfant de Marthe Barraco de Pinto pour l’Association nationale des sages femmes.

Pourtant, le droit français regorge de dispositions juridiques et notions juridiques exploitables pour permettre de protéger le foetus contre les violences conjugales : non assistance à foetus en danger, principe de précaution applicable au foetus, responsabilité de protéger l’enfant à naître, enfant à naître en risque de danger ou enfant à naître en danger notamment.

On peut aussi citer la maxime de l’infans conceptus utilisée en droit civil qui signifie que l’enfant conçu est considéré comme né chaque fois qu’il en va de son intérêt. En principe, l’enfant n’acquiert la personnalité juridique qu’une fois qu’il est né vivant et viable. Or, cette maxime est utilisée chaque fois qu’il en va de l’intérêt de l’enfant conçu : en droit des successions, en matière d’assurance décès notamment.

Or, dans le cas des violences conjugales, pourquoi ne pas faire valoir le droit d’être protégé de l’enfant à naître ? On pourrait tout à fait l’envisager :

– s’agissant de la prise en compte de tout signalement ou information préoccupante mentionnant des maltraitances in utéro afin de diligenter une enquête sociale pour préparer sa naissance – c’est l’exemple du cas où vous avez été témoin d’un coup porté sur le ventre d’une femme enceinte

– s’agissant de l’application d’une ordonnance de protection de l’enfant in utéro afin de la rendre effective dès les premières heures de sa naissance

– s’agissant du retrait de l’autorité parentale du père qui l’a violenté in utéro afin de rendre ce retrait effectif dès sa naissance

– s’agissant du dépôt d’une plainte pour maltraitance in utéro laquelle produira des effets protecteurs dès la naissance du foetus notamment

– s’agissant du constat médical par attestation médicale de toute maltraitance in utéro permettant de quantifier et évaluer les dommages subies par le foetus lorsqu’il sera né et de lui apporter des soins spécifiques qui de facto pourront être pris en charge à 100%

Par ailleurs, la loi pénale si elle vise à protéger l’enfant né, n’est-ce pas un non sens que de ne pas protéger l’enfant à naître dès lors que la femme qui le porte a choisi de mener à son terme sa grossesse ? En effet, la loi pénale use indirectement de ce que l’interruption volontaire de grossesse ait été rendu légal pour ne pas créer d’incrimination visant le foetus comme victime. C’est ainsi que dans plusieurs cas d’accidents de la route ayant entraîné le décès in utero du foetus, l’infraction d’homicide n’est pas reconnue, de même en matière médicale.

Or, sur ce point, le droit français est encore beaucoup trop protecteur du système de domination dans lequel s’insère la question des violences conjugales. En effet, les violences conjugales naissent d’un rapport de domination le plus souvent de l’homme sur la femme qui a pour but de détruire la partenaire avec laquelle il vit et de l’assujettir par tous les moyens. Or, l’utilisation et l’abus de son état de fragilité durant la grossesse et la réalité factuelle qui démontre que la femme enceinte subit de plus importantes violences encore que lorsqu’elle n’est pas enceinte devraient inciter le législateur à revoir sa copie en la matière. Car, au final, lorsque l’enfant naît, il est de nouveau victime de violences conjugales et de maltraitance.

Protéger sa vie in utéro, dès lors que la femme qui le porte a fait le choix de mener la grossesse à son terme, c’est accompagner sa décision, c’est la protéger durant cette période mais bien plus c’est donner une réelle chance de vie sécurisée in utéro pour l’enfant à naître. C’est permettre à l’enfant à naître de recevoir aussi tous les soins dont il aurait besoin. C’est garantir son développement in utéro.

Rappelons aussi que l’article 223-10 du code pénal dispose que « l’interruption de grossesse sans le consentement de l’intéressée est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000€ d’amende ». Or, qu’est-ce donc que de vouloir interrompre la grossesse, faire mal au foetus, vouloir la mort de l’enfant à naître, que de violenter la femme enceinte, que ce soit physiquement, psychiquement ou même sexuellement ? Si la femme enceinte a souhaité mener à son terme sa grossesse, qu’est-ce que les violences conjugales si ce n’est l’obliger à revenir sur son choix au moyen de coups qu’elle subira et qui pourront mener à la mort du foetus qu’elle porte ? que sont les violences sexuelles, les viols conjugaux alors qu’elle est enceinte si ce n’est des violations totales de son intimité allant même jusqu’à nuire à l’organe qui protège son enfant à naître, et donc à nuire à son enfant à naître, la mettant face à un risque d’interruption de sa grossesse nécessairement sans son consentement ?

Protéger la vie in utéro de l’enfant à naître à qui la femme a choisi de donner la vie, c’est considérer que l’enfant à naître qu’elle porte a de la valeur, a de l’importance, n’a pas à être soumis aux violences conjugales, n’a pas à subir le rapport de domination que son père lui impose dés sa vie in utéro et cela de la même manière que si il était en dehors de l’utérus ; que cet enfant à naître a donc le droit d’être protégé et respecté.

Le droit français, en refusant cette avancée juridique nécessaire visant à protéger le foetus à qui la femme a choisi de donner vie, ne fait qu’accompagner la domination des hommes sur les femmes et des hommes sur les enfants. La non reconnaissance du foetus en tant que victime des violences conjugales renforce in fine la violence que cet enfant né vivant et viable subira. Car il sera dès son premier jour de vie soumis à une éducation patriarcale toxique et nuisible ; laquelle découle naturellement de ce rapport de domination que lui impose déjà son père in utéro via les violences conjugales.