La loi n°2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant a été adoptée par les parlementaires français en vue de conforter les dispositifs juridiques élaborés dans le but de protéger tout enfant en danger ou en risque de danger. Voir à ce propos notre précédent article sur le sujet : Protéger l’enfance, non. Protéger l’enfant, oui
A ce titre, cette loi a réintroduit dans le code pénal l’inceste.
En effet, suite à la saisine du Conseil constitutionnel via le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité, ce dernier avait abrogé par sa décision n°2011-163 du 16 septembre 2011 l’article 222-31-1 du code pénal, tout juste adopté par le législateur et qui visait à définir l’inceste en droit pénal français (loi n°2010-121 du 8 février 2010).
La justification alors invoquée par le Conseil constitutionnel pour abroger cette disposition était la suivante : « s’il était loisible au législateur d’instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux, il ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s’abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille ; que, par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre grief, la disposition contestée doit être déclarée contraire à la Constitution » (considérant n°4 de la-dite décision). Voir à ce propos : le communiqué de presse du Conseil, son dossier documentaire et son commentaire de la décision.
Le Conseil constitutionnel abrogea ainsi l’article 222-31-1 au motif de l’imprécision juridique de l’expression « tout autre personne membre de la famille ». En effet, l’ex article 222-31-1 disposait que « les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis au sein de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agit d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait« . Aussi, à compter de la décision du Conseil constitutionnel aucune définition juridique de l’inceste n’était plus consacrée par le code pénal français.
Suppléant à cette carence, les articles 44 et 47 de la loi de mars 2016 sont venus définir de façon explicite et précise ce que sont les viols incestueux et les agressions sexuelles incestueuses.
C’est ainsi que l’article 222-31-1 qui a été rétablit dans le code pénal dispose désormais que :
« les viols et agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis sur la personne d’un mineur par :
1° un ascendant ;
2° un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ;
3° le conjoint, le concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées aux même 1° et 2°, s’il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait ».
Cette loi a également créé deux nouvelles qualifications ou pourrait-on dire incriminations en introduisant un article 227-27-2-1 au code pénal :
- l’atteinte sexuelle incestueuse commise sur un mineur de quinze ans (voir la définition de cette atteinte à l’article 227-25 du code pénal)
- l’atteinte sexuelle incestueuse commise sur un mineur âgé de plus de quinze ans (voir la définition de cette atteinte à l’article 227-27 du code pénal)
Le rétablissement de la définition de l’inceste dans le code pénal était plus qu’une nécessité. Cependant, la définition ainsi offerte par le législateur ne couvre pas la réalité de ce qu’est l’inceste.
Précédemment, les viols et agressions sexuelles étaient qualifiés d’incestueux lorsqu’ils étaient commis au sein de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agissait d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait.
Or, en faisant disparaître l’expression « au sein de la famille » de cette nouvelle définition, le code pénal réduit le champ d’application de l’infraction de l’inceste et omet son rapport réel à la famille, c’est-à-dire le rapport réel de la victime à sa famille ; telle qu’elle le vit, telle qu’on la lui impose, telle qu’elle le et la subit.
En effet, on est en mesure de se demander si un cousin ou une cousine ne font pas partie également des membres de la famille susceptibles d’être des violeurs incestueux ? De même que comme le précisait l’ancien article « toute autre personne » ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait car considérée, apparentée ou imposée comme étant un « membre de la famille » ?
Ainsi l’enfant à qui on dit dès sa naissance que telle personne est un membre de la famille, ce membre à qui les autres membres font confiance, ce membre que l’enfant cotoie très souvent et à qui lui aussi il fait confiance car c’est ce qu’on lui a appris, ne pourra pas considérer ce membre comme étant un violeur incestueux quand bien même il l’aurait violé en usant de son autorité envers lui du fait de son « lien familial » avec lui.
Le fait de nommer expressément qui sont les membres de la famille de la victime susceptibles d’agressions incestueuses revient à nier que « toute autre personne » puisse selon l’enfant et parce qu’elle fait partie de sa famille pratiquer envers lui toute violence incestueuse.
Cela nie que toute autre personne amenée à être en contact avec l’enfant parce qu’elle est considérée comme « faisant partie de la famille » aux yeux de l’enfant pourrait de par son autorité lui faire subir des violences sexuelles.
Cette définition revient à brouiller l’identification de la stratégie des agresseurs incestueux, laquelle bien identifiée permet à la victime mineure de se départir des actes de l’agresseur incestueux et de comprendre ce qu’il lui a fait subir et dont il est le seul responsable.
Plus grave encore, cette définition revient à créer un trouble dans le discours de prévention de l’inceste susceptible d’être adressé à tout enfant afin qu’il soit informé de ses droits et qu’il puisse se protéger.
En effet, l’inceste est par définition toute violence sexuelle imposée à un membre mineur de la famille par un autre. Or, extraire de la définition juridique de l’inceste la référence à la famille, c’est couvrir la réalité des violences sexuelles intra-familiales que vivent quelques 2 millions de français aujourd’hui, soit 1 français sur 4.
Cela crée une véritable dichotomie entre d’un coté la réalité de ce qu’est l’inceste, tel que vécu par l’enfant victime au sein de sa famille par un ou des membres de sa famille et, de l’autre, la règle pénale ainsi définit – mots juridiques, théoriques, qui devront enserrer la réalité pour permettre l’opération de qualification juridique des faits.
Le fait de renvoyer à des personnes désignées spécifiquement : ascendants, frères, sœurs, oncles, tantes, neveux et nièces ainsi que les conjoints, les concubins ou les partenaires, a aussi pour conséquence le fait d’oublier ou plutôt d’exclure d’autres personnes potentiellement agresseuses : demi-frère, ex-beau-frère, grand-oncle etc
Ensuite, cela engendre un nouvel euphémisme juridique : la famille ne serait pas la première sphère de souffrance des enfants victimes d’inceste, seuls quelques liens de parenté le seraient, puisque la famille, et cela quelque soit sa structure, n’existe pas comme étant potentiellement incestueuse dans le code pénal.
On est ainsi en mesure de considérer que la définition juridique de l’inceste a été pensée non du point de vue de la victime qui doit être protégée mais de l’agresseur qu’il convient d’identifier et cela, sans regard aucun pour les souffrances spécifiques endurées par la victime du fait de l’inceste ; c’est-à-dire du fait des violences sexuelles qu’on lui fait subir au sein même de sa famille.
Par contre, le fait de nommer en premier les agresseurs de sexe masculin qui commettent des viols et agressions sexuelles incestueux est bien là le reflet de ce que vivent les victimes mineures de violences sexuelles. Leurs agresseurs incestueux sont dans la très grande majorité des hommes.
Autre point positif, on constate aussi que l’ensemble de ces nouvelles dispositions s’appliquent également sur les territoires de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et des îles Wallis et Futuna dont on parle peu alors même que pour ces territoires des dispositions pénales spécifiques et dérogatoires sont appliquées.
La loi de 2016 vient également entériner le fait que les viols, agressions sexuelles et atteintes sexuelles commis par la personne titulaire sur le mineur de l’autorité parentale sont des viols incestueux, des agressions sexuelles incestueuses et des atteintes sexuelles incestueuses et qu’à ce titre, la juridiction doit se prononcer sur le retrait total ou partiel de l’autorité de cette personne (voir les modifications de l’article 222-31-2 du code pénal et de l’article 227-27-3 du code pénal).
Enfin, la loi de 2016 profite notamment de l’introduction de ces dispositions relatives à l’inceste dans le code pénal pour élargir les sanctions judiciaires des entraves à la saisine de la justice en cas de connaissance d’un crime de viol commis à l’encontre de tout mineur (modification de l’article 434-1 du code pénal).
Avant la loi de 2016, le fait, pour les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et soeurs et leurs conjoints, de l’auteur ou du complice du crime ou encore le conjoint de l’auteur ou du complice du crime, ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui, d’avoir eu connaissance d’un viol commis à l’encontre d’un mineur ayant moins de 15 ans et de ne pas informer les autorités judiciaires ou administratives était puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Ainsi, la grand-mère qui avait connaissance des crimes de viols incestueux commis par le grand-père sur sa petite-fille de 16 ans ne tombait pas sous le coup de cette disposition et n’était donc pas condamnable pour non-dénonciation.
Si cela paraissait invraisemblable pourtant cela était inscrit comme tel dans le code pénal à l’article 434-1 du code pénal au moyen de la formule « sont exceptés des dispositions qui précèdent, sauf en ce qui concerne les crimes commis sur les mineurs de quinze ans : 2° le conjoint de l’auteur du crime ».
Désormais, cette disposition est élargie à tout crime de viol commis à l’encontre de tout mineur c’est-à-dire aussi d’un mineur qui peut avoir entre 15 ans et 18 ans.
Si cette disposition a très peu été remarquée pourtant sa portée est importante car cela ouvre une protection renforcée à tout enfant c’est-à-dire à toute personne de moins de 18 ans et cela notamment lorsque l’enfant est victime d’inceste.
Pour autant, le régime français de protection pénale des mineurs contre l’inceste reste fragile et cela pour plusieurs raisons.
L’infraction délictuelle d’atteinte sexuelle incestueuse vise toujours à interdire et punir des actes de pénétration sur le corps de mineurs. Et, ce n’est que dès lors que le mineur est en « état de consentir », que cet acte incestueux de pénétration pourra être qualifié de viol et donc sanctionné à la hauteur de son niveau de gravité : celui d’un crime.
Les délais de prescription s’agissant des viols incestueux, des agressions sexuelles incestueuses et des atteintes sexuelles incestueuses n’ont toujours pas évolué alors même que l’inceste est le plus souvent une violence sexuelle répétée dans le temps qui court sur plusieurs années. A quand l’imprescriptibilité des délits et crimes incestueux ?
Enfin et surtout, il importe pour prévenir l’inceste et créer des campagnes de prévention efficaces de se référer non à la définition juridique de l’inceste tirée du code pénal mais à celle que propose l’AIVI, l’Association internationale des victimes de l’inceste.
Pourquoi ? Car seule cette définition montre la réalité de ce qu’est l’inceste et permet ainsi de prévenir efficacement cette violence. Nous reproduisons ci après des extraits de la page du site de l’AIVI consacrée à la réponse à la question « qu’est-ce que l’inceste ? »
Selon AIVI, « l’inceste concerne la famille de sang et la famille élargie ainsi que la famille par adoption. Mais ce lien familial est avant tout pour la victime un lien de proximité, d’autorité, de confiance, de dépendance et d’amour.
Ainsi, les agresseurs peuvent être dans la famille de sang : père, mère, frère, sœur, grand-père, grand-mère, oncle, tante, cousin, cousine et dans la famille par alliance : beau-père, belle-mère, cousins, tante, oncle par alliance… L’inceste est donc dans la famille, c’est ce qui le rend tabou. C’est pourquoi neuf fois sur dix, la famille incestueuse exclut la victime qui révèle l’inceste au profit de la cohésion familiale.
Physiquement, l’inceste peut être un viol : soit, tout acte de pénétration par voie orale (fellation), anale (sodomie) ou vaginale imposé avec une partie du corps de l’agresseur (doigt, pénis…) ou par l’utilisation d’un objet (tournevis). L’inceste peut aussi prendre la forme d’une agression sexuelle consistant à imposer un toucher sur le corps de l’enfant avec son propre corps (se frotter contre l’enfant, cunnilingus, masturbation…) à des fins de satisfaction sexuelle. L’enfant peut être forcé à pratiquer des gestes de masturbation sur l’agresseur, à l’embrasser ou le toucher où il le demande.
L’inceste c’est aussi tout ce qui concerne l’exhibition sexuelle et l’inceste moral ou inceste sans contact physique : les actes de faire l’amour devant son enfant, parader nu, tenir des propos à caractère sexuel, visionner des films pornographiques avec son enfant notamment sont considérés comme relevant de l’inceste. Utiliser son enfant comme confident de ses aventures sexuelles, le photographier nu ou dans des situations érotiques également.
L’inceste c’est aussi le « nursing pathologique »: sous couvert d’actes d’hygiène ou de soins, l’agresseur agresse en pratiquant des toilettes vulvaires trop fréquentes, des décalottages à répétition, des prises de la température inutiles plusieurs fois par jour, des lavements fréquemment…et ce jusqu’à un âge avancé de l’enfant. C’est une relation extrêmement fusionnelle qui s’instaure dans laquelle l’enfant est un objet sexuel.
Par ailleurs, l’inceste se caractérise par un abus de pouvoir, de confiance, une trahison de la part d’un proche sur un enfant. Les liens qui les unissent sont de l’ordre de la dépendance affective et matérielle (lorsqu’elle remet en cause la structure familiale). L’agresseur implique la victime dans un conflit de loyauté pour obtenir son silence en utilisant des phrases du type : « si tu parles, tu vas détruire la famille ».
L’inceste est un meurtre sans cadavre, un meurtre psychique car il crée la confusion dans l’esprit de l’enfant entre amour et sexualité (Ferenczi). Il place l’enfant dans une fonction d’objet sexuel visant à assouvir les fantasmes sexuels de son agresseur que la plupart du temps il aime et en qui il a confiance.
L’inceste inverse les rôles : l’enfant devient le parent du parent, crée la peur et place la victime dans une constante insécurité. L’acte en lui-même provoque une sidération et une dissociation (phénomène de se couper en deux : sortir de soi même) pour survivre à l’insupportable.
L’inceste est tellement traumatisant que la victime doit dans la plupart des cas, pour survivre, oublier et se plonger dans le déni. C’est un mécanisme de défense qui se met en place pouvant provoquer l’oubli total des faits. Dans ce cas, personne ne peut savoir quand les souvenirs vont se manifester à nouveau. »
A la lecture de cette définition, il est clair que si l’inceste est désormais défini juridiquement en droit pénal français, on reste cependant et malgré tout encore bien loin d’un véritable régime efficient et efficace de protection des enfants contre l’inceste.