Pour l’abolition des violences faites aux enfants !

Le 20 avril dernier, les députés Edith Gueugneau, François-Michel Lambert et François De Rugy ont tenu une conférence de presse à l’Assemblée nationale.

Leur objectif : présenter un projet de proposition de loi visant à abolir la violence faite aux enfants.

Pourquoi abolir la violence faite aux enfants ? 

La violence éducative ordinaire est l’ensemble des pratiques coercitives et punitives utilisées, tolérées, voire recommandées, dans une société, pour éduquer les enfants. Elle comprend :

  • la violence verbale (cris, injures, moqueries, propos humiliants, etc.),
  • la violence psychologique (mensonge, menace, chantage, culpabilisation, rejet, indifférence, interdiction de l’expression des émotions, etc.) et
  • la violence physique (pincer, gifler, donner une fessée, secouer, projeter, bousculer, tirer les bras, les oreilles, les jambes, griffer, frapper avec un objet, mordre, etc.).

Elle vise à faire obéir l’enfant, stopper un comportement, apprendre quelque chose, « bien éduquer » l’enfant, s’épargner le regard de l’entourage, soulager l’emportement ou la peur de l’adulte.

Les parents y ont recours pour plusieurs raisons :

  • le fait de croire aux vertus éducatives,
  • le fait d’avoir subi eux-mêmes la violence éducative ordinaire expliquant la reproduction de génération en génération, les injonctions sociales, religieuses (« on ne se met pas en colère contre ses parents », « tu honoreras tes père et mère ») et
  •  l’interprétation erronée des comportements des enfants par méconnaissance de leurs besoins et de leur développement.

En effet, les neurosciences montrent que le cerveau cognitif ou cerveau supérieur qui permet de raisonner, de faire face à ses émotions, d’analyser la situation, de prendre du recul (inquiétude, tristesse, déception, colère, frustration, jalousie) est encore très immature à la naissance et se développe en grande partie après la naissance et pendant plusieurs années.

Or, on est parent avec l’enfant qu’on a été, être parent, ne s’apprend pas, on le devient. Il faut donc aider les parents dans l’exclusion de toute forme de violence, c’est l’objet de cette proposition de loi.

Aujourd’hui en France, on estime que deux enfants meurent de maltraitance chaque jour. Beaucoup de ces actes de maltraitance commencent par des punitions corporelles, considérées en France comme acceptables, mais dont tous les parents n’ont pas appris à empêcher l’escalade.

En Suède où l’on a interdit depuis 1979 toute forme de punition corporelle, y compris les fessées, les gifles et les tapes, les décès d’enfants par maltraitance sont devenus rarissimes. 6% seulement des suédois de moins de 35 ans considèrent comme légitime d’infliger des punitions corporelles, y compris les plus légères, aux enfants.

Malheureusement, sur ce thème, la situation du droit français est confuse et paradoxale.

Pendant des années, la Cour de cassation a refusé de considérer la Convention internationale relative aux droits de l’enfant comme directement applicable en droit français, en toute illégalité (article 55 de la Constitution). De plus, si le droit français prohibe clairement les violences faites aux enfant dans son article 222-13 du code pénal, et reconnaît la violence contre les mineurs de moins de 15 ans, commise par un ascendant légitime, comme une forme aggravée de violence, la loi pénale n’est pas appliquée à cause de la persistance d’un droit coutumier, remontant à une jurisprudence vieille de 200 ans. La Cour de Cassation fait référence depuis 1819 à un « droit de correction » encore invoqué par les plus hautes juridictions, récemment dans un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 29 octobre 2014, en contradiction avec le droit écrit.

Cette curiosité juridique montre que la violence éducative ordinaire n’est toujours pas considérée comme un problème ; elle est acceptée dans l’état des mœurs. Ce droit de correction – reconnu actuellement lorsque la violence est « légère » ou « inoffensive » et « à but éducatif » – est accepté pour les professeurs et membres des équipes éducatives et les parents. Les magistrats se trouvent face à une très grande difficulté à juger la limite entre violence légère et maltraitance, à juger qui dispose de l’exercice de ce droit de correction et à juger si l’acte est à but éducatif ou non.

Or, de multiples études ont montré que la croyance à la valeur éducative de la claque et de la fessée est tout à fait illusoire. Les effets de ces violences subies dans l’enfance sont au contraire : agressivité contre les pairs, les éducateurs et les parents, insolences, provocations, dissimulations, échecs scolaires, baisse de l’estime de soi, délinquance. 

En criminologie, la théorie de l’apprentissage social (Ackers) a démontré que les comportements des êtres servant de modèle aux enfants (parents, enseignants…) sont repris par les enfants par le biais d’intégration dans la sphère cognitive : les violences deviennent ainsi la norme, favorisant leur reproduction ultérieure à la fois dans la sphère familiale et au dehors.

La violence intra-familiale contribue ainsi à la délinquance dans toute la société. 

Les recherches scientifiques actuelles montrent, parce que nous sommes des êtres sociaux, que les enfants naissent dotés de capacités relationnelles innées (attachement, empathie, altruisme, sens de la justice, comportements de réconciliation…) qui les portent, si ces capacités sont respectées, à nouer avec les autres des relations favorables à une vie sociale harmonieuse.

Or, la violence, qu’elle soit physique, verbale ou psychologique, et quel que soit son niveau, altère, détruit les capacités de l’enfant. 

Les institutions internationales comme l’Organisation Mondiale de la Santé, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, l’UNICEF, ont pris conscience depuis longtemps de tout cela. C’est dans cet esprit que l’article 19 de la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989, que la France a signée le 7 août 1990, prévoit que : « Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toutes formes de violence, d’atteintes ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié. »

49 pays à ce jour dans le monde, dont 20 pays sur 28 de l’Union européenne, ont voté des lois interdisant toute forme de violence à l’égard des enfants et ce processus d’abolition s’accélère. De nombreuses institutions nationales et internationales ont pris position en faveur d’une loi civile explicite d’interdiction des punitions corporelles et humiliations.

En février 2015, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a recommandé d’inscrire dans la loi la prohibition des châtiments corporels dans tous les contextes, y compris au sein de la famille.

En mars 2015, le Comité européen des droits sociaux a rendu une décision qui estime que le droit français viole l’article 17 de la charte européenne des droits sociaux dont elle est signataire, qui précise que les Etats parties doivent « Protéger les enfants et les adolescents contre la négligence, la violence ou l’exploitation ». Et estime que le droit français « ne prévoit pas d’interdiction suffisamment claire, contraignante et précise des châtiments corporels ».

En septembre 2015, l’organisme France Stratégie, dont le rôle auprès du gouvernement est d’ « anticiper, évaluer, débattre, proposer », a pris la même position. Dans son rapport, remis au Président de la République, « Pour un développement complet de l’enfant et de l’adolescent », il a estimé nécessaire pour « faire évoluer le cadre légal des relations entre parents et enfants », de « condamner par principe les châtiments corporels et dégradants dans le code civil, conformément aux recommandations du Conseil de l’Europe et du Comité des droits de l’enfant des Nations unies. ». Et le rapport précise : « de nombreuses recherches ont montré le caractère nocif des châtiments corporels sur le développement de l’enfant. »

En octobre 2015, le collectif Agir Ensemble pour les droits de l’enfant – AEDE, regroupant 50 associations, « recommande d’inscrire dans le code civil l’interdiction de tout recours aux châtiments corporels, à toute forme de violence éducative ».

En décembre 2015, la Commission consultative des droits de l’Homme, dans sa note au gouvernement en vue de l’audition de la France par l’ONU, a estimé que la France ne donne pas suffisamment d’éléments, eu égard à l’importance du sujet de la violence domestique et de la maltraitance des enfants.

Cette proposition de loi a pour ambition de poursuivre la démarche pédagogique enclenchée par le gouvernement. 

En février 2016, alors que la France a ratifié la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) depuis 26 ans déjà, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies lui a rappelé pour la 4ème fois son devoir de mettre en pratique l’article 19 qui lui enjoint de protéger les enfants contre toute forme de violence, si faible soit-elle : « le Comité réitère sa recommandation à l’Etat partie d’interdire explicitement les châtiments corporels dans tous les domaines, y compris la famille, les écoles, les lieux de garde et de soins alternatifs » et « qu’aucune violence faite aux enfant n’est justifiable ». 

Depuis avril 2016, la Caisse nationale d’allocations familiales CAF remet un « livret des parents » pour chaque naissance. Les punitions corporelles sont décrites comme négatives dans l’épanouissement des enfants. L’attention des parents est portée sur les conséquences néfastes engendrées par de telles pratiques dans la construction des enfants (p. 7 du livret).

Beaucoup sont tentés de penser que l’information sur les effets nocifs des punitions corporelles et des humiliations suffit à faire évoluer l’opinion publique et les comportements sans qu’il soit nécessaire de recourir à une loi. Une étude parue en 2012 dans la revue Médecine et Hygiène a comparé l’impact en Europe de l’interdiction des châtiments corporels dans plusieurs pays, dont la France. Cette étude a montré que seule la loi d’interdiction, accompagnée de mesures de sensibilisation, de lieux de soutien aux parents, de formations à la parentalité et de campagnes d’information nationales et permanentes, permet d’obtenir un changement rapide de l’opinion publique et des comportements. 

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il apparaît nécessaire d’inscrire dans la loi l’interdiction absolue de l’usage de la violence envers les enfants, de réformer la notion d’autorité parentale inscrite au code civil en intégrant pleinement ce principe.

Il apparaît également nécessaire de provoquer une prise de conscience chez les parents, notamment à travers les symboles essentiels que représente la célébration du mariage ou le carnet de santé de l’enfant.

L’article 1 de la présente proposition de loi pose le principe de l’abolition des punitions corporelles, des souffrances psychologiques ou morales.

L’article 2 a pour but de compléter la notion d’autorité parentale présente à l’article 371-1 du code civil en précisant que le respect qui est dû à l’enfant implique de ne pas recourir à la violence sous toutes ses formes. Cet article vise à préciser les contours de l’autorité parentale et en retirer toute forme de violence envers l’enfant. À cet égard, il entend inscrire dans le code civil l’interdiction du recours au droit de correction envers les enfants.

L’article 3 intègre l’obligation de ne pas user de la violence envers les enfants, aux devoirs respectifs des époux relatifs à l’éducation. L’article 213 du code civil ici modifié est traditionnellement lu par l’officier d’État civil lors de la célébration du mariage. La modification de cet article vise à faire prendre conscience aux futurs époux lors d’un moment solennel intimement lié à la construction de leur famille, que l’usage de la violence doit être proscrit dans l’éducation de leurs enfants.

L’article 4 reprend le principe énoncé à l’article premier de la présente proposition de loi et fait obligation d’inscrire la prohibition de la violence envers les enfants sur tous les nouveaux carnets de santé.

PROPOSITION DE LOI 

Article 1er Nul, pas même le ou les titulaires de l’autorité parentale, n’a le droit d’user de violence physique, d’infliger des châtiments corporels et des souffrances morales ou de recourir à toute autre forme d’humiliation envers un enfant.

Article 2 Le code civil est ainsi modifié :

1° A l’article 371-1 du code civil, après les mots : «pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne», sont ajoutés les mots « qui exclut tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux punitions corporelles » ;

2° Au même article après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : « L’autorité parentale ne comprend aucun droit de correction, aucune forme de violence physique et morale, aucune punition corporelle ou aucune forme d’humiliation envers l’enfant. »

Article 3 A l’article 213 du même code, après les mots : « Ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir », sont ajoutés les mots : « sans exercer de violence et de souffrance de quelque nature que ce soit.»

Article 4 Le code de santé publique est ainsi modifié : L’article L2132-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé : « A la première page du carnet de santé de l’enfant doit figurer la mention suivante : «Nul, pas même le ou les titulaires de l’autorité parentale, n’a le droit d’user de violence physique, d’infliger des punitions corporelles et des souffrances morales ou de recourir à toute autre forme d’humiliation envers un enfant. »

Aller plus loin :
– le dossier de presse l’OVEO relatif au projet de proposition de loi visant à abolir les violences envers les enfants
– le communiqué de presse de l’OVEO annonçant la diffusion du projet de proposition de loi visant à abolir les violences envers les enfants
– le Livret des parents de la CAF
– le communiqué de presse de la CAF présentant le Livret des parents
– le communiqué de presse de l’OVEO relatif au Livret des parents de la CAF
– la promotion gouvernementale du Livret des parents par Mme la Ministre Rossignol