Prévenir les violences sexuelles, c’est connaître

Du 25 novembre au 2 décembre 2015, une enquête a été réalisée par l’institut IPSOS et l’association Mémoire Traumatique et Victimologie via Internet, auprès de 1001 personnes constituant un échantillon national représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Les résultats viennent de paraître. En voici quelques extraits.

D’abord, pourquoi cette enquête ?
Pour la première fois en France, il s’agissait d’établir une photographie précise des représentations que les Français-e-s peuvent avoir sur le viol et les violences sexuelles, en ayant pour but d’évaluer l’impact des campagnes d’information et de sensibilisation sur cette thématique, et d’analyser sur quels axes prioritaires les efforts doivent être développés afin de mieux lutter contre ces violences.

Ensuite, qu’est-ce qu’indiquent les résultats de l’enquête ? 

Nous vivons dans une société où la méconnaissance de la réalité des violences sexuelles, de leur fréquence et de la gravité de leur impact traumatique, conduit à les reléguer dans la catégorie “faits divers” alors qu’elles représentent un problème majeur de santé publique, et participe à la non reconnaissance des victimes et à leur abandon sans protection, ni soin. Une société où le déni du viol et la mise en cause de la victime sont encore très répandus : trop de personnes y adhèrent et diffusent des idées fausses qui nuisent gravement aux victimes et garantissent l’impunité aux agresseurs.
Ce système organisant le déni et la mise en cause des victimes, on le nomme “culture du viol”. La culture du viol est définie comme l’adhésion d’une société à de nombreux mythes sur le viol. Lonsway et Fitzgerald ont défini les mythes sur le viol comme étant des : « Attitudes et croyances généralement fausses, mais répandues et persistantes, permettant de nier et de justifier l’agression sexuelle masculine contre les femmes » — mais cette définition est également valable pour toutes les victimes : femmes et hommes, adultes et enfants. Selon ces mythes la victime est considérée comme coupable d’avoir menti, d’avoir provoqué le viol, ou d’y avoir en fait consenti.
Une société où une part conséquente de la population estime que « forcer sa conjointe ou sa partenaire à avoir un rapport sexuel alors qu’elle le refuse et ne se laisse pas faire n’est pas un viol », « que forcer une personne à faire une fellation alors qu’elle le refuse et ne se laisse pas faire n’est pas un viol » ou encore « qu’à l’origine d’un viol, il y a souvent un malentendu » est une société où les victimes de violences sexuelles qui révèlent ce qu’elles ont subi courent le risque d’être mises en cause et maltraitées.
Ce que démontrent les résultats de cette enquête, c’est que de très nombreux-euses Français-e-s, ont encore aujourd’hui tendance à considérer qu’il existe des motifs permettant d’atténuer la responsabilité des violeurs et de culpabiliser les victimes en les rendant en partie responsables de ce qu’elles ont subi. Ces conceptions se développent sur un terreau extrêmement fertile. D’abord le sexisme et son lot de stéréotypes concernant les sexualités féminine et masculine. Ensuite la méconnaissance de la réalité statistique des viols, notamment tout ce qui concerne les chiffres des viols et des plaintes, les caractéristiques des agresseurs ou encore l’âge auquel surviennent le plus souvent les viols et agressions sexuelles.
L’adhésion à ces stéréotypes amène une proportion importante de la population française à exprimer des opinions inquiétantes, en affirmant par exemple qu’il est possible d’éviter un viol pour peu que l’on respecte certaines règles de sécurité et que l’on se défende le plus que l’on peut. Dans un retournement pervers, le projecteur est braqué avant tout sur les victimes au lieu de l’être sur les agresseurs, organisant ainsi un déni généralisé de la réalité des violences sexuelles et une mise en cause des victimes.

Enfin, qu’est-ce qu’il nous faut absolument connaître pour prévenir les violences sexuelles ? 

1) Notre société française est encore pleine de stéréotypes et la culture du viol y est omniprésente.

Force est de constater que cette vision stéréotypée et parasitée par la culture du viol n’est pas seulement le fait des hommes, elle est aussi partagée par de nombreuses femmes.
Comme souvent, la violence sexuelle est ici perçue par l’opinion sous l’angle de la sexualité, du désir ou de la pulsion, voire vue comme un “malentendu”, alors qu’il s’agit de violence, de volonté de détruire, d’instrumentaliser et de soumettre. On s’intéresse plus aux comportements de la victime qu’à la stratégie de l’agresseur, sa préméditation, ou à l’existence d’autres victimes. La victime avait le droit de s’habiller en mini-jupe, d’aller seule chez un inconnu, de flirter, de faire confiance a priori, de céder sous la contrainte ou la menace, d’être trop sidérée pour parvenir à se défendre, etc. En revanche, le violeur n’avait absolument pas le droit de lui imposer des actes sexuels.
Une large majorité de Français-e-s identifie correctement les comportements qui relèvent du viol. Ils-elles sont quasiment unanimes pour qualifier de viol un comportement qui viserait à forcer une personne à avoir un rapport sexuel alors même qu’elle le refuse et ne se laisse pas faire (96%). Toutefois, une proportion très importante des répondant-e-s estime que certaines agressions ne sont pas des viols, alors même qu’elles en sont. Le statut de la victime, le type de pénétration et le fait de céder sous la contrainte sont des facteurs qui ont pour conséquence de disqualifier le viol dans l’esprit de bon nombre de répondant-e-s.

 2) Les français ne savent pas qui est violé, par qui et dans quelles circonstances. Ils ne connaissent pas les chiffres.

Les victimes de violences sexuelles sont :
– pour 51% d’entre elles des mineurs de moins de 11 ans.
– pour 81% d’entre elles des mineurs de moins de 18 ans.

Les violeur sont :
– dans 90% des cas des proches de la victime.

En France, chaque année :
– 98 000 viols et tentatives de viols sur des personnes de 18 à 75 ans dont 84 000 sur des femmes
– 154 000 viols et tentatives de viols sur des personnes de moins de 18 ans.

3) Les français savent que les conséquences psychotraumatiques d’un viol sont graves.