A l’occasion de l’audition de la France par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, les 13 et 14 janvier dernier, l’UNICEF France publie « Les enfants peuvent bien attendre« , une contribution de 25 experts sur la situation plus que critique des droits des enfants en France.
Parmi les contributeurs, il y a Muriel Salmona, psychiatre et fondatrice de l’Association Mémoire Traumatique qui milite depuis plusieurs années pour une action publique effective en matière de lutte contre les violences.
Sa contribution, pages 157 à 171 est édifiante. En voici quelques extraits :
« malgré la reconnaissance scientifique internationale de la gravité de l’impact des violences sur le développement des enfants et sur leur santé à court, moyen et long termes, la France, en 2015, ne considère toujours pas les violences faites aux enfants comme une urgence majeure humaine, sociale et de santé publique, et ne met pas en place de plan national exhaustif de lutte contre ces violences.
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En plus des atteintes physiques directes et de leurs possibles séquelles, l’impact psychotraumatique des violences physiques et sexuelles est très important avec de lourdes conséquences à long terme sur la santé des enfants, d’autant plus qu’ils sont très jeunes. Les enfants peuvent être traumatisés dès leur naissance, et même en tant que fœtus, dès le troisième trimestre de la grossesse, par la violence que subit leur mère. Les violences entraînent des atteintes neurologiques des circuits émotionnels et de la mémoire, ainsi que des atteintes du cortex cérébral (amincissement de certaines zones) et de la régulation du stress (atteintes épigénétiques). Le cerveau des enfants est particulièrement vulnérable à la violence. Les mécanismes neuro-biologiques en cause sont maintenant connus et expliqués plus loin. Ces troubles psychotraumatiques non traités sont responsables d’une très grande souffrance mentale, d’un stress permanent et de stratégies de survie handicapantes, qui sont très préjudiciables pour leur santé.
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Il y a toujours en France une tradition de sous-estimation des violences faites aux mineurs, de leur gravité et de leur fréquence, faute d’enquêtes spécifiques de victimation et de chiffres fiables sur les homicides et sur toutes les formes de violences, or nous savons, avec les enquêtes de victimation faites dans 133 pays et colligées par l’OMS en 2014, que 20,4 % des adultes rapportent avoir subi des violences physiques dans l’enfance, 36,3 % des violences psychologiques, 16 % des négligences graves, et 18 % des violences sexuelles en tant que filles et 7,5 % en tant que garçons.
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Les violences sexuelles sont l’exemple le plus frappant du déni des violences envers les enfants et de la non-reconnaissance de leur impact psychotraumatique sur la santé des enfants victimes. Chaque année, nous savons grâce aux enquêtes de victimation que 102 000 adultes sont victimes de viols et de tentatives de viol (86 000 femmes et 16 000 hommes) en France, mais on ne nous parle pas des victimes mineures pourtant bien plus nombreuses, estimées à 154 000 (124000 filles et 30000 garçons).
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Or, les violences sexuelles font partie des pires traumas et la quasi-totalité des enfants victimes développeront des troubles psychotraumatiques, entre 80 et 100 % d’entre eux. Faute d’être reconnus et soignés, ces enfants gravement traumatisés développent des stratégies hors normes pour survivre aux violences et à leur mémoire traumatique qui – telle une machine infernale à remonter le
temps – leur fait revivre à l’identique ce qu’ils ont subi, comme une torture sans fin.
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La France n’a toujours pas renoncé au « droit de correction » parental sur les enfants, contrairement à 46 pays dans le monde – dont 28 en Europe – qui ont déjà légiféré sur l’interdiction de toute violence envers les enfants y compris au sein de la famille, la Suède ayant été le premier pays à le faire en 1979. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir à notre disposition, depuis plus de 20 ans, tous les outils juridiques internationaux et européens, et toutes les connaissances scientifiques incontestées pour le faire. Les châtiments corporels et toutes les autres formes de violences dites éducatives (violences verbales et psychologiques) sont clairement une violation des droits de l’enfant, et à ce titre ils doivent être interdits.
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Un enfant qui aura subi des violences peut, dans une situation qui les lui rappelle, être envahi par celles-ci, par des cris, des paroles blessantes, des images de coups qu’il sera tenté de reproduire soit sur lui-même, soit sur autrui pour “se calmer”, en se dissociant pour échapper à cette flambée de mémoire traumatique. Il en sera de même pour un adulte lorsqu’il se retrouvera confronté avec ses propres enfants à des situations qui allumeront sa mémoire traumatique comme, un refus de manger, des cris, une mauvaise note, etc.