Apprendre à observer pour protéger des violences sexuelles

observer avec empathie (1)
Dès les premiers instants de la vie, chaque enfant mobilise les parties de son corps. Par de petits gestes lents puis progressivement par de plus grands. Il acquiert en amplitude corporelle. Les expressions de son visage s’affinent aussi.
Doucement, il s’étire, se tend, se retourne, lève sa tête, attrape un objet, serre dans ses mains. Puis rapidement, il fera la chenille, la toupie, s’assoira, fera du quatre pattes puis marchera.
Chacun de ses mouvements prouve son existence et nous rappelle qu’il est existant, présent, agissant.
Dans son rapport au présent, à la vie, le nourrisson, le petit enfant est saisit par son sens du toucher. Il est pour lui le mode d’intégration progressif de l’existence de son enveloppe corporelle, de ses membres ainsi que de son existence toute entière, mais aussi le moyen d’entrer avec nous en communication.
On l’habille, on le change, on le nettoye, on le caresse, on le câline, on le pose, on le déplace, on le promène. On le serre contre soi, on l’embrasse. Mais lui demande-t-on si il veut être habillé ? changé ? nettoyé ? caressé ? câliné ? posé ? déplacé ? promené ? serré ? embrassé ? Les parents et toutes les personnes qui s’occupent de lui prêtent attention à chacune des parties de son corps. Attention à sa tête, à ses jambes, à l’arc de ses bras, à son dos mais aussi à sa bouche et à ses parties génitales.
Si l’on se comporte ainsi avec le nourrisson, le petit enfant, c’est pour répondre au mieux à ses besoins et son développement. Grâce à nos gestes pensés comme étant bienveillants, d’affection et d’amour, on lui prouve qu’il est important, que l’on est heureux qu’il vive. On lui transmet notre goût de la vie.
Bien qu’il ne nous dise aucun mot, il entre en communication avec nous. Il échange, communique, nous envoie des sons, réalise des gestes : il agrippe un coin de sa serviette de bain, met à sa bouche un objet, touche du pied un jouet. C’est son corps qui nous parle directement.
Aussi, l’observer avec empathie, c’est déjà le protéger. 

L’observer avec empathie, c’est lui dire qu’on lui fait confiance. C’est lui transmettre toute notre attention. C’est lui montrer qu’on coopère à ses actes, c’est lui montrer qu’il est en sécurité. 
L’observer avec empathie, c’est aussi savoir qu’il a besoin d’un espace sécurisant pour se mouvoir, pour découvrir le monde qui l’entoure et surtout son lieu de vie. Adapter son environnement de vie l’aide ainsi à en prendre conscience, à l’appréhender, à le reconnaître. Adapter son environnement de vie l’aide à prendre confiance en lui.
Dans l’ouvrage Appliquer la pensée Montessori chez soi d’Emmanuelle Opezzo, on apprend que dès la naissance l’enfant dispose d’un potentiel infini pour apprendre et s’adapter et qu’il suit un programme de développement rigoureux avec des étapes clés, programme grâce auquel les caractéristiques humaines pourront se révéler si l’environnement est propice.
L’auteure nous explique que « le nouveau-né arrive au monde dépendant et d’apparence fragile, car il ne peut se débrouiller seul, et sans soins il ne survivra pas. Quasi immobile, il ne peut se redresser ni se tourner pendant les premiers mois de sa vie ; il est entièrement à la disposition des adultes, soumis à leur bon vouloir pour se mouvoir. Cette apparente fragilité est en fait une grande force : l’enfant naît « indéterminé » dans le sens où il possède tous les potentiels humains qui écloront au fur et à mesure de sa croissance, en fonction de son environnement, mais aussi de son identité qui le rend unique et différent de tout autre individu. Ces dispositions lui donnent une puissance immense que nous ne mesurons pas. L’homme est une des seules espèces à pouvoir naître presque partout sur Terre, il nous faut donc une grande malléabilité à la naissance, un pouvoir d’adaptation que nulle autre espèce ne possède. »
Conséquence de cela, « l’environnement est l’élément déterminant du développement de l’enfant, et le premier environnement de l’enfant, c’est sa maison ».
Or, protéger un enfant des violences sexuelles, c’est savoir aussi que c’est ce lieu, sa maison, qui est le premier lieu où l’enfant peut subir de telles violences par l’un de ses parents ou par l’un des membres de sa famille ou de proches de sa famille.
Adapter l’environnement de l’enfant pour qu’il s’y sente en sécurité, qu’il puisse s’y mouvoir, c’est donc déjà protéger l’enfant.
L’auteure ajoute « l’action exercée sur notre enfant entre 0 et 3 ans est indirecte, elle passe d’abord par la préparation de son environnement. L’environnement exerce une forte impression sur l’enfant entre 0 et 6 ans, qui l’absorbe et se l’approprie pour pouvoir développer ses caractéristiques humaines et être un individu adapté. L’environnement adapté répond au stade de développement de l’enfant et alimente ses besoins de mobilité, langage, éducation des sens, compréhension du monde, motricité fine et socialisation« .
« L’environnement doit assurer une liberté de mouvement à l’enfant dès sa naissance. Le mouvement libre nourrit la pensée de l’enfant ; réciproquement, la vie psychique de l’enfant nourrit le mouvement. C’est ce que l’on nomme la psychomotricité : l’unicité du corps et de l’esprit. 

En étant libre de se mouvoir, le tout-petit apprend à se coordonner, se muscle et prépare chacun de ses membres à la station verticale. En grandissant, l’activité motrice de l’enfant n’a pas toujours de sens aux yeux des adultes [cependant] le mouvement part du psychisme : il est d’abord l’expression du réflexe, de l’instinct, de l’expérimentation et se développe ensuite en expression de la volonté, de l’effort et de la persévérance. 

Se mettre en mouvement, c’est se mettre en pensée et exercer sa volonté physiquement. […] les mouvements de l’enfant nous indiquent son état psychique intérieur. […] en mettant à disposition de notre enfant un cadre préparé qui lui offre la liberté, nous lui apprenons à faire des choix [et] en observant son évolution et ses choix dans le cadre que nous lui avons fourni, nous apprenons ainsi à le découvrir peu à peu. 

En offrant la liberté de choix à notre enfant, nous lui donnons l’occasion de choisir ses activités « en connaissance » de lui-même, de ses besoins, de ses envies, de ce qui est bon pour lui. Il apprend à exercer sa volonté« .
Or, lorsque l’enfant peut ainsi exercer sa volonté grâce à un environnement préparé et adapté, il communique plus aisément avec nous. Il nous dit en mouvements. 
En posture d’observateur bienveillant, on découvre ses gestes et ses mouvements. On apprend à le connaître, à le re-connaître. Ses attitudes corporelles habituelles nous parlent mais aussi nous guident pour l’accompagner dans la satisfaction de ses besoins, l’expression de ses émotions, la traduction de ses attentes, de ses envies, de ses maux.
Emmanuelle Opezzo nous explique d’ailleurs que « l’observation est un révélateur. Observer ne se limite pas à regarder, c’est porter son entière attention, écouter, saisir, comprendre, en reliant des faits et en leur donnant du sens. » Pour cela, elle invite aussi le parent lecteur de son ouvrage à s’observer et propose même un petit exercice pratique.

Alors, notre observation révèle à l’enfant que nous sommes attentifs à lui, que nous assurons sa sécurité, qu’il peut avoir confiance en nous, que nous sommes là. Et, en cas de nécessité c’est parce que nous aurons pris cette habitude d’observer que l’enfant pourra nous révéler par ses mouvements ses souffrances, celles-là même générées par des violences auxquelles il aurait pu être contraint.

Observer avec empathie c’est donc « observer son enfant en bienveillance« . L’auteure propose également un guide de l’observation pour savoir comment observer en pratique son enfant. De ce guide, nous retiendrons surtout que le dernier des bénéfices de l’observation de son enfant qu’elle identifie est « de nous distancier et de comprendre d’où vient le problème en cas de difficulté« .
Car en matière de prévention des violences sexuelles, c’est de cela dont il s’agit. Il convient de réussir à se distancier de son enfant pour parvenir à comprendre les mots que nous disent ses mouvements. Notre observation doit nous permettre de prendre conscience qu’un problème se pose à l’enfant.
Observer avec empathie, c’est réussir à s’interroger sur tout changement d’attitudes corporelles habituelles de son enfant. 
C’est pouvoir constater des comportements inappropriés que ce soit des masturbations compulsives, des exhibitions, des auto-mutilations sexuelles mais aussi des dessins et des jeux sexualisés compulsifs.
C’est pouvoir se demander pourquoi mon enfant a eu un changement brutal de comportement. Pourquoi est-il devenu agité alors qu’il ne l’était pas jusque là ? Pourquoi semble-t-il si triste alors qu’il souriait tout le temps ? Pourquoi ne parle-t-il plus du tout ? Pourquoi pleure-t-il autant ?
C’est pouvoir s’interroger sur des attitudes régressives : il s’accroche à nous et ne veut plus nous quitter. Il avait cesser de sucer son pouce depuis longtemps et recommence. Il reparle un langage de « bébé » alors qu’il sait formuler de belles phrases. Il refait pipi au lit.
Soudainement, il a peur d’être enfermé mais aussi de certaines personnes de notre famille ou d’une personne en particulier. Il ne veut plus participer à ses activités de loisirs alors que tout se passait bien jusque là.
Lorsqu’il se déplace, il semble souffrir de certaines parties de son corps. Ses mouvements de marche sont différents de jusqu’alors. Il nous dit qu’il a mal au ventre, qu’il a mal aux fesses. Il ne parvient plus à s’asseoir comme avant. Il se tient avec ses mains certaines parties de son corps. Il refuse qu’on le change. Il hurle dès qu’on tente de lui apporter des soins d’hygiène : il ne supporte plus qu’on lui change sa couche, le bain devient impossible. Il ne semble plus être le même.
L’ensemble de ces attitudes doivent vous alerter et plus encore tout changement dans les attitudes habituelles de votre enfant.
L’observation empathique de votre enfant devient dès lors un véritable outil à la disposition des parents et de toute personne bienveillante pour protéger mais aussi voir ce qui n’est pas dit ou ce à quoi on impose un silence.