Réfléchir ensemble

Prévenir l’inceste, est-ce possible ?

Ce lundi 20 novembre, l’Association Internationale des Victimes de l’Inceste a lancé, appuyé par plusieurs signataires connus pour leurs actions en matière de lutte contre les violences sexuelles et nous-même, une pétition importante :

Inceste : aucun consentement de 0 à 18 ans ! Aucune prescription !

Aucun(e) mineur(e) ne saurait consentir à une relation sexuelle incestueuse. Il est temps de changer la loi pour qu’elle prenne en compte les spécificités de l’inceste et qu’elle protège tous les enfants contre la pédocriminalité.

90% des violences sexuelles sur mineurs

Les débats actuels sur l’âge légal à partir duquel un(e) mineur(e) peut donner son consentement éclairé à des relations sexuelles avec un adulte (13 ans ? 15 ans ? 16 ans ? 18 ans ?) sont incomplets. Ils sont focalisés sur la pédocriminalité en-dehors de la famille qui représente environ 10% des violences sexuelles sur mineurs. L’inceste représente 90% des violences sexuelles sur mineurs et personne n’en parle : ni les ministres ni les experts ni les journalistes. L’inceste c’est la partie immergée de l’iceberg !

Il est temps de sortir du déni collectif de l’inceste qui compte 4 millions de victimes en France d’après un sondage Harris/AIVI 2015. Le Conseil de l’Europe estime qu’un enfant sur cinq en Europe est victime de violences sexuelles en précisant que ce chiffre « pourrait bien être sous-estimé. »

Les spécificités de l’inceste

Étant bien entendu que nous considérons que l’inceste est intolérable à tout âge, il est important d’agir en premier lieu pour protéger les mineurs. « J’ai baigné dans l’inceste depuis ma naissance, je ne savais pas comment ça se passe dans une famille normale où les enfants sont respectés. » Ce témoignage d’une survivante de l’inceste montre une des spécificités de l’inceste : le climat psychologique incestuel qui l’accompagne abolit les repères et les limites, brouille la perception des enfants et rend toute notion de « consentement »du mineur absurde.

L’autre spécificité de l’inceste est la répétition des viols pendant plusieurs années dans la plupart des cas. La durée et la répétition créent un traumatisme lourd dont les traces dans le cerveau sont encore visibles avec un IRM 30 ou 40 ans après les faits. Il est maintenant démontré que des modifications épigénétiques existent chez les enfants survivants de la pédocriminalité. Un(e) survivant(e) de l’inceste sur deux commet une tentative de suicide (étude IPSOS/AIVI 2010), c’est pourquoi le mot « survivant » n’est pas usurpé.

Les agresseurs font souvent des victimes multiples au sein de la même famille : tant qu’on ne les arrête pas pour les soigner, ils vont continuer leurs agissements avec la petite soeur, la cousine, le fils ou la fille de leur victime, etc.

Enfin il faut noter la puissance du déni dans la famille et les stratégies élaborées par l’agresseur pour contraindre la ou les victimes au silence. 84% des victimes qui révèlent l’inceste à leur famille ne sont pas protégées et même contraintes de cohabiter avec leur agresseur (enquête AIVI auprès de 131 survivants en 2014).

Une loi obsolète et inadaptée

La définition du viol dans le Code pénal a manifestement été pensée et conçue pour un viol entre adultes. Et rédigée par des hommes car elle distingue entre « viol » ou « agression sexuelle » selon qu’il y a eu pénétration ou non. Par comparaison la loi canadienne regroupe toutes les « agressions sexuelles » sous la même dénomination, laissant aux juges le soin d’apprécier la gravité des faits au cas par cas. En France en 2017, le viol ou l’agression sexuelle ne sont retenus que si la victime arrive à démontrer qu’il y a eu  « menace, surprise, violence ou contrainte ».

Le caractère obsolète et inadapté de cette loi est apparu clairement avec deux faits divers récents : deux jeunes filles de 11 ans (Sarah et Justine) ont été considérés comme « consentantes » pour des relations avec des adultes beaucoup plus âgés (28 et 22 ans), et déboutées de leurs plaintes pour viol. Ces affaires ont énormément choqué l’opinion publique, à juste titre. Elles n’ont rien d’exceptionnel pourtant : les témoignages similaires reçus par les associations signataires de cette pétition sont nombreux.

L’inadaptation de la loi à la réalité est encore plus flagrante pour l’inceste. Il est très difficile de démontrer qu’il y a eu « menace, surprise, violence ou contrainte » à cause du climat incestuel qui brouille les repères de l’enfant et de la position d’autorité de l’agresseur (père, oncle, frère aîné, grand-père le plus souvent). Il est urgent de changer la loi afin que toute acte sexuel incestueux envers un mineur soit puni sans qu’un hypothétique « consentement » soit examiné par les juges. Il est déjà très difficile de démontrer les faits au-delà du doute raisonnable (ce qui est nécessaire pour avoir une justice conforme à nos valeurs démocratiques et au respect de la présomption d’innocence). Ne rendons pas la tâche des victimes encore plus difficile à cause d’une loi mal écrite et qui ignore la réalité de l’inceste et de la pédocriminalité !

Le Haut Conseil pour l’Égalité Femmes-Hommes a écrit dans son « Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles » du 5 octobre 2017 : « le HCE recommande que les infractions d’agression sexuelle et de viol incestueux soient constituées sans qu’il soit besoin d’apporter la preuve du défaut de consentement du.de la mineur.e dès lors que l’auteur est titulaire de l’autorité parentale. C’était également le sens de la proposition formulée par Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des Droits des femmes, lors des débats en séance le 24 janvier 2014 à l’Assemblée nationale sur le Projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes : « il faudrait prévoir explicitement qu’une atteinte sexuelle commise sur un mineur par une personne titulaire sur celui-ci de l’autorité parentale est présumée ne pas avoir été consentie pour l’application des articles 222-22 à 222-31 du code pénal ». Le HCE approuve et soutient donc notre démarche !

La prescription, boulevard pour la récidive

En raison de l’amnésie traumatique et des nombreuses années nécessaires pour surmonter le traumatisme et être assez fortes pour porter plainte, de nombreuses victimes d’inceste se voient dans l’incapacité d’obtenir un procès de leur agresseur. Il est maintenant démontré que l’amnésie traumatique touche d’autant plus les enfants qu’ils ont été agressés jeunes. Le gouvernement parle d’allonger le délai de prescription de 20 à 30 ans : ce serait un progrès relatif, mais nous demandons que les crimes sexuels incestueux et crimes sexuels sur mineurs soient imprescriptibles. Aucune impunité, aucune autorisation à récidiver pour les agresseurs ! Tolérance zéro pour la pédocriminalité. L’abolition de la prescription est avant tout une mesure de prévention, qui vise à protéger nos enfants contre de futures agressions.

Les arguments avancés par certains (y compris au sein de la magistrature) pour demander un statu quo ne tiennent pas. L’idée d’un « droit à l’oubli » pour l’agresseur ne résiste pas face aux données scientifiques qui montrent la permanence des effets d’un traumatisme infantile sur la santé tout au long de la vie. De plus la prescription empêche de dispenser aux agresseurs les soins dont ils auraient besoin. La difficulté de réunir les éléments matériels pour démontrer les faits à 30 ou 40 ans de distance est réelle mais elle doit être appréciée au cas par cas, et non selon un délai arbitrairement fixé par la loi.

Certains agresseurs avouent leurs actes. Beaucoup d’agresseurs récidivent, et le nombre de leurs victimes ne fait que s’accroître avec le temps qui passe. Un agresseur multirécidiviste doit pouvoir être confronté à toutes ses victimes présumées, sans qu’un tri soit opéré entre elles selon que les faits sont prescrits ou non.

Ce que nous demandons :

1. Tout acte sexuel incestueux sur un(e) mineur(e) de 0 à 18 ans doit être qualifié de crime incestueux et puni par la loi sans qu’un hypothétique « consentement » de la victime ne soit examiné. Aucun(e) mineur(e) ne saurait consentir à l’inceste !

2. L’âge minimum de consentement d’un(e) mineur(e) à des relations avec un adulte extérieur à la famille fait l’objet d’un large débat : nous demandons qu’il ne soit pas fixé en-dessous de 15 ans.

3. Les crimes sexuels sur mineur(e)s doivent être imprescriptibles.

En ce 20 novembre 2017, Journée internationale des droits de l’enfant, il est temps de regarder la réalité en face et de se doter d’outils législatifs efficaces pour lutter contre les viols incestueux et la pédocriminalité. Protégeons nos enfants !

 

Pour signer la pétition : cliquez ici.

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