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Le classement sans suite malgré les aveux, une aberration face à la nécessaire protection des enfants victimes de violences sexuelles

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Juridiquement, le procureur de la République n’est pas tenu d’engager des poursuites à la suite d’une plainte qui dénonce des violences sexuelles subies par un enfant. Il peut donc classer sans suite l’affaire. Cela signifie que les révélations de l’enfant n’emportent pas d’effets juridiques. Les classements sans suite sont notamment rendus lorsque :

  • le procureur estime que les faits ne constituent pas une infraction
  • l’auteur de l’infraction est demeuré inconnu ou il n’y a pas assez d’indices pour le retrouver
  • si la plainte est retirée
  • le procureur estime que l’affaire n’est pas assez grave pour y donner suite
  • lorsque les faits sont prescrits

Le classement sans suite n’éteint pourtant pas la possibilité pour l’enfant victime ou ses représentants légaux de continuer de poursuivre une action en justice mais il leur faudra alors déposer une plainte avec constitution de partie civile.

C’est d’ailleurs pourquoi il est conseillé aux personnes victimes de violences sexuelles de faire d’abord un simple dépôt de plainte et puis notamment si un classement sans suite est rendu de se constituer partie civile.

Ainsi pouvons-nous constater que lorsque des enfants parviennent à dénoncer les violences sexuelles dont ils ont été victimes, qu’ils sont entendus, qu’une plainte est déposée, aucune disposition spécifique n’a été créée pour accompagner cette parole et surtout la soutenir.

Lorsqu’un enfant révèle des viols commis par un proche, l’enfant-victime peut donc aussi se heurter à un classement sans suite et donc ses révélations n’être pas prises en compte. Et, c’est sans compter en parallèle l’effet dévastateur des délais de prescription. Car bien souvent, ce n’est que lorsque l’enfant aura grandi qu’il déposera plainte ; au moment où il aura trouvé en lui de la force pour « affronter » judiciairement son agresseur. Mais, trop souvent encore, des classements sans suite sont prononcés notamment pour cause de prescription.

Or, et c’est là, l’un des cas les plus aberrant du système judiciaire français, la plainte qui soutient les révélations de l’enfant sera aussi classée sans suite pour cause de prescription et ce même si l’agresseur a reconnu avoir violé l’enfant !

C’est la petite histoire de Bettina X, victime de viols à l’âge de 6 ans par son voisin et pour qui un classement sans suite a été rendu par le procureur et cela malgré les aveux de l’agresseur. Voici les extraits de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Montpellier le 15 octobre 2015 :

« Le 4 mai 2007, Bettina X… , âgée de 23 ans pour être née le 28 juillet 1983, déposait plainte auprès du commissariat de police de CARCASSONNE (11) en dénonçant des faits de viol et d’agressions sexuelles dont elle aurait été victime entre 6 et 8 ans, soit entre 1989 et 1991, à l’encontre de Vincent X…, un voisin qui habitait la maison mitoyenne à celle de sa famille (D3).

Elle exposait aux enquêteurs, après avoir précisé qu’aucun lien de parenté n’existait entre la famille de Vincent X… et la sienne, qu’elle était amie avec la fille de ce dernier, Virginie X… , âgée d’un an de moins qu’elle, avec qui elle avait l’habitude de jouer au domicile de celle-ci. Elle indiquait que son frère, Fabrice X… et une autre petite fille du quartier, Christelle A…, venaient se mêler aux jeux qui se déroulaient principalement dans le salon du logement de la famille X… .

Elle expliquait que les faits dénoncés avaient eu lieu dans ce contexte, à deux reprises et évoquait une scène dont elle avait le souvenir précis : alors que Virginie, Christelle, son frère et elle jouaient dans le salon à un jeu de société et qu’Anne X… , l’épouse de Vincent X…, se trouvait dans la cuisine, ce dernier, assis sur le canapé, avait insisté pour qu’elle vienne s’asseoir sur ses genoux. Une fois assise, il avait glissé  » ses grosses mains dégueulasses  » dans sa culotte et lui avait touché le sexe en la pénétrant  » mais pas profondément « . Si elle ne se souvenait pas avoir ressenti de la douleur, elle était en revanche certaine qu’il l’avait  » caressée au niveau des lèvres « .

Elle ajoutait qu’elle était ensuite parvenue à se dégager de Vincent X… en prétextant vouloir aller aux toilettes, ce qui lui avait ainsi permis de remonter sa braguette puis de se réfugier auprès de son frère, alors qu’elle était à nouveau sollicitée par le père de son amie. Selon elle, les autres enfants ne s’apercevaient pas de la scène puisqu’ils continuaient de jouer et que Vincent X…  » ne laissait rien paraître « . 
Elle précisait encore qu’elle avait un jour révélé à sa mère les agissements de leur voisin commis sur sa personne, alors qu’elle refusait de retourner jouer chez ce dernier ; que sa mère avait ensuite interrogé son frère afin de savoir s’il avait également été victime d’attouchements commis par Vincent X… ; que répondant par la négative, ce dernier lui avait cependant expliqué que leur voisin lui avait une fois montré des films à caractère pornographique et lui avait demandé de toucher son sexe.

A la suite de telles révélations et avant de décider de rompre toute relation avec la famille X… , toujours selon Bettina, sa mère s’était entretenue avec Vincent X…, qui avait alors mis en doute les déclarations de son frère ainsi que les siennes, tout comme leur père lorsque celui-ci en avait été informé.

Interrogée par les enquêteurs sur sa démarche, Bettina X… expliquait qu’ayant souffert durant son enfance des agissements que lui avait fait subir Vincent X…, souffrance s’étant notamment manifestée par deux tentatives de suicide, elle souhaitait désormais qu’aucun autre enfant ne soit la victime de cet homme.

Il résultait de l’examen psychologique réalisé sur la plaignante qu’elle était indemne de troubles mentaux et de la personnalité, présentait une névrose traumatique, essentiellement réactionnelle aux faits allégués et au silence gardé par ses parents lors de ses révélations, cette attitude ayant eu pour effet de majorer son traumatisme. Cette névrose traumatique était notamment caractérisée par une atteinte de l’image du corps, conduisant à une violence retournée contre soi (tentatives de suicide, boulimie, automutilations), des troubles importants du sommeil, un état dépressif et un sentiment de culpabilité. Il ressortait par ailleurs que le récit des faits réalisé par Bettina X… était cohérent, précis, circonstancié, sans contradiction, ni incohérence ou invraisemblance. Il apparaissait enfin que le fonctionnement défensif développé par la plaignante visait à minimiser les faits et leur conséquence psychologique, ce qui était tout à fait contraire à une dynamique de fausse allégation (D6 à D9).

Le 30 mai 2007, Andrée-Luce E…, mère de la plaignante, était entendue par les enquêteurs (D5). Elle confirmait les déclarations de sa fille relatives aux agissements de Vincent X… ainsi que l’altercation qu’elle avait eue avec ce dernier à la suite des révélations formulées par ses enfants et ses dénégations. Elle faisait également état de la passivité du père de ses enfants qui ne les avait pas crus et précisait les difficultés comportementales que sa fille avait rencontrées, notamment ses tentatives de suicide, ayant justifié un séjour en hôpital psychiatrique. 
Le 26 octobre 2007, les enquêteurs entendaient Christelle A…, alors âgée de 25 ans pour être née le 3 février 1982 (D4). Si elle déclarait ne pas souhaiter déposer plainte à l’encontre de Vincent X…, elle corroborait néanmoins les faits reprochés par Bettina X… à ce dernier ainsi que le contexte dans lequel ils avaient eu lieu. Elle précisait que Virginie, la fille de Vincent X…, s’asseyait également sur les genoux de son père mais expliquait ne pas avoir vu ce dernier  » toucher  » sa fille, ni Bettina. Elle indiquait aux enquêteurs que lorsque c’était à son tour d’être assise sur les genoux de Vincent X…, ce dernier la caressait au niveau des fesses et des hanches mais pas au niveau du sexe.

Elle évoquait également deux scènes au cours desquelles il s’était masturbé devant elle, la seconde fois jusqu’à éjaculation et lui avait demandé de toucher son sexe, ce qu’elle avait refusé alors qu’il la tenait fermement par le poignet.

Elle mentionnait que les faits s’étaient déroulés alors qu’elle était âgée de 6 ans environ, Vincent X… ne s’intéressant plus à elle dès lors qu’elle avait été pubère et lorsque la femme de celui-ci était dans la cuisine ou bien lorsqu’il lui demandait  » d’aller faire une course « .

Par la suite, Christelle A… déposait plainte auprès du procureur de la République de CARCASSONNE à l’encontre de Vincent X… pour les faits dénoncés (D43). Lors de son audition par les enquêteurs, elle devait préciser ses précédentes déclarations (D45).

Elle mentionnait ensuite qu’il s’était à plusieurs reprises, masturbé devant elle, soit dans son salon, soit dans un cabanon, soit dans une caravane stationnée à PORT-LA-NOUVELLE (11) et qu’elle devait tenir un mouchoir afin qu’il y éjacule dessus. Elle ajoutait que lorsqu’elle était sur ses genoux et ce à l’occasion de chacune de ses visites au domicile de la famille X… , il lui touchait également le sexe, passant ses mains aux ongles longs et sales dans sa culotte ; elle évoquait avoir d’ailleurs souvent souffert étant enfant de mycoses vaginales. Elle n’avait toutefois pas le souvenir de pénétration, ni de fellation.

Elle indiquait un autre moment précis durant lequel Vincent X… l’avait amenée dans sa chambre, l’avait couchée sur le lit, avait baissé le pantalon qu’elle portait alors qu’il était lui-même  » nu du bas  » ; elle avait senti  » son sexe sur le sien « . Un tel agissement avait également eu lieu dans la caravane située à PORT-LA-NOUVELLE.

Enfin, elle expliquait qu’il était généreux avec elle, lui offrant régulièrement des cadeaux, qu’il l’appelait  » sa fiancée « , même devant tout le monde et lui intimait de garder le silence si elle voulait continuer à jouer avec sa fille.

L’examen psychiatrique de Christelle A… ne relevait aucune affection mentale caractérisée mais mettait en évidence la présence d’un syndrome de stress post-traumatique à l’origine d’une personnalité vulnérable (D77, D78). L’expert indiquait que la plaignante ne présentait pas de tendance à l’affabulation ou la mythomanie et concluait que les faits dénoncés avaient eu un retentissement évident sur son psychisme, sa personnalité et sa vie sexuelle.

Le 9 avril 2008, Vincent X… était placé en garde à vue (D10). Auditionné par les enquêteurs, il reconnaissait rapidement les faits dénoncés par Christelle A… (D17).

Il expliquait ainsi qu’il avait caressé pour la première fois le sexe de la petite fille lorsqu’il l’avait aidée à s’essuyer aux toilettes. Puis, à chaque fois qu’elle venait jouer chez lui avec sa fille, il profitait d’être seul avec elle, soit aux toilettes, soit dans le salon, pour la prendre sur ses genoux et passer sa main dans la culotte de l’enfant afin de lui caresser le sexe et les fesses. Il ajoutait qu’il frottait parfois son sexe contre le sien, qu’à cette occasion il lui demandait de le toucher, ce qu’elle faisait certaines fois et qu’il parvenait jusqu’à l’éjaculation. Il précisait qu’il avait éjaculé deux fois sur la petite fille mais qu’il ne l’avait jamais pénétrée ni digitalement ni avec son sexe. Il ajoutait que de tels agissements avaient aussi eu lieu lors de vacances près de la mer.

Il reconnaissait également avoir touché le sexe de Bettina X… mais affirmait également ne l’avoir jamais pénétrée (D18). Il confirmait les propos de la plaignante en expliquant que ces  » caresses  » avaient eu lieu sur le canapé de son salon, alors que les autres enfants jouaient.

Il affirmait que ni Bettina, ni Christelle ne lui avaient fait de fellation et expliquait que  » le contact de la peau  » le stimulait et qu’il parvenait à l’orgasme et à l’éjaculation grâce aux caresses qu’il prodiguait sur les deux enfants, soit pendant qu’il se masturbait, soit par le simple fait de les avoir à ses côtés (D32).

Questionné sur le visionnage des films à caractère pornographique en présence des enfants, il indiquait que cela était arrivé une seule fois accidentellement avec Fabrice X… , lorsque le premier film enregistré sur la cassette s’était terminé et qu’à sa suite un film pornographie apparaissait (D18). Il avait tout de suite éteint la télévision et niait avoir demandé au garçon de lui toucher le sexe. Il n’était plus depuis en possession de telles vidéos. Il confirmait par ailleurs l’altercation qu’il avait eu avec la mère de Bettina et Fabrice X… uniquement à ce sujet.

Lors de la perquisition réalisée à son domicile, il désignait toutefois aux enquêteurs trois cassettes vidéos susceptibles de contenir des films à caractère pornographiques (D21).

Il affirmait enfin n’avoir jamais touché sa fille, Virginie, ni d’autres enfants, hormis Christelle A…, à l’égard de laquelle il avait ressenti du désir et Bettina X… . Il ajoutait ne plus avoir de désir à l’égard des enfants, ni des femmes d’ailleurs, en raison notamment des antidépresseurs qu’il avait pris et formulait des regrets.

L’expertise psychiatrique du mis en cause ne mettait en évidence aucune anomalie mentale ni psychique pouvant être en relation avec l’infraction reprochée ; l’expert relevait que Vincent X… ne présentait aucun état dangereux, qu’il était accessible à une sanction pénale et que lors des faits il n’était pas atteint d’un trouble psychique ou neuro-psychique ayant altéré ou entravé son discernement (D37).

Malgré les aveux formulés par le mis en cause au cours de sa garde-à-vue, l’affaire faisait l’objet d’un classement sans suite au motif de la prescription de l’action publique. »

Il est plus que grand temps de revoir les réponses apportées par le système judiciaire aux révélations d’enfants victimes de violences sexuelles et aux suites qui leur sont apportées.

Osons créer des lois plus protectrices de la parole des enfants.

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