Réfléchir ensemble

Émergence d’un délit d’atteinte sexuelle avec pénétration : une nouvelle entrave à la reconnaissance des crimes de viols sur les enfants

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Le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a animé ces trois derniers jours les bancs des députés au sein de l’Assemblée nationale.

Le résultat des débats est, à ce jour, un texte qui emporte des évolutions intéressantes et nécessaires :

  • l’allongement de la durée des délais de prescription s’agissant des crimes mentionnés à l’article 706-47 du code de procédure pénale lorsqu’ils sont commis sur des mineurs à trente ans à compter de la majorité, à savoir, notamment les crimes de viols mais non encore des délits d’agressions sexuelles et des délits d’atteintes sexuelles.
  • l’acte de fellation imposé sur le corps d’un garçon est enfin reconnu comme étant un viol ; en effet, un amendement présenté par M. Balanant, Mme Jacquier-Laforge, M. Lagleize, Mme Poueyto, M. Mathiasin, M. Fuchs et M. Millienne, a été adopté et permet d’étendre la définition juridique du viol. Ainsi l’article 222-23 du code pénal dans sa nouvelle version serait ainsi rédigé : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur ou avec la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle. »
  • la double extension de la définition de l’inceste :
    • aux violences sexuelles subies aussi par des majeurs au sein de la famille
    • aux violences sexuelles perpétrées par une nièce, un cousin ou une cousine.

Cependant, il est une partie du projet de loi qui continue de poser question ou devrait-on dire de pérenniser dans le langage juridique l’absence d’un cadre juridique protecteur des enfants contre les violences sexuelles.

Ainsi que je l’avais déjà précisé dans plusieurs articles précédents, la notion d’atteinte sexuelle est un reliquat de l’archaïsme de notre droit pénal qui considérait initialement que le viol sur le corps d’un enfant était impossible (voir à ce propos mes précédents articles : ici et ici). D’où l’émergence d’un délit et non d’un crime spécifique aux mineurs et censé les protéger : le délit d’atteinte sexuelle. Et, cela, peu importe sa proximité pour ne pas dire aussi sa confusion avec le délit d’agression sexuelle.

L’interdiction et la sanction des viols sur enfants ont donc été bâties sur le droit tel qu’il s’applique aux majeurs : il y a viol lorsqu’il n’y a pas consentement de la victime. Et, si l’enfant n’est pas consentant alors, son viol est qualifié d’atteinte sexuelle ou requalifié en agression sexuelle avec négation de l’acte de pénétration ce qui, dans les deux cas, a pour conséquence que c’est un tribunal correctionnel qui se prononcera et non une cour d’assises.

La réalité de la pratique des juridictions dans la qualification de l’infraction d’atteinte sexuelle a ainsi démontré à de nombreuses reprises que, sous le coup de cette notion, étaient bel et bien sanctionnés des actes de pénétration sur le corps des enfants….. donc comme étant des délits et non des crimes.

Ce langage purement juridique si tant est qu’il soit compris par tous organise donc déjà initialement un brouillage du cadre éducatif de référence s’agissant de l’interdiction des actes de pénétration sexuelle entre un majeur et un mineur.

Par extension, sa traduction dans le langage courant est une négation de la réalité des actes de pénétration sexuelle sur le corps des enfants. Monsieur X a été condamné pour atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans. Dixit la société : ce n’était que des « atteintes sexuelles, pas de viols ». En réalité, Monsieur X a été condamné ce jour là pour les actes de pénétration sexuelle qu’il a fait sur le corps d’une enfant de 7 ans dont il a été constaté qu’ils n’ont été fait ni avec violence, surprise, menace ou contrainte… c’est à dire sans le consentement de l’enfant.

Les incidences de l’utilisation de la notion d’atteinte sexuelle sont principalement de deux ordres : la qualification des faits sous une incrimination délictuelle entraîne des peines moindres que celles d’un crime et le procès a lieu devant un tribunal correctionnel sans prendre le temps de bien écouter les propos de l’enfant comme cela aurait été fait en cour d’assises.

En pratique donc, les tribunaux correctionnels sont devenus les juges des actes de pénétration sur les corps des mineurs, sans que l’on puisse les qualifier jamais de « viols ».

Or, dans le projet de loi qui nous occupe, l’article 2, I nouveau et l’article 2, II dudit projet poursuivent le chemin non seulement du maintien du délit d’atteinte sexuelle mais en plus viennent légitimer la pratique des tribunaux correctionnels à juger des actes de pénétration sur le corps des mineurs. Une étape précédente avait déjà été franchie lors de la légalisation de la correctionnalisation des viols mais avec ce projet de loi, on complète le mauvais arsenal juridique d’une disposition spécifique pour ou devrait-on dire contre la protection des enfants.

Cependant, pour se dédouaner de cette réalité sordide, deux dispositions juridiques viennent tenter de montrer que si, si, la protection des enfants contre l’inceste, les viols intra-familiaux est renforcée.

D’une part, une disposition du projet prévoit un allongement de la peine encourue en cas d’atteinte sexuelle sur un enfant de moins de 15 ans passant de cinq à sept ans d’emprisonnement et de 75.000 euros à 100.000 euros d’amende …

D’autre part, si une cour d’assises ne parvient pas à établir les viols sur l’enfant, elle devra par contre se prononcer sur une question subsidiaire : y a-t-il eu atteinte sexuelle sur l’enfant ?

Bien évidemment à aucun moment dans la loi il est question des actes de pénétration sur le corps d’un mineur – qualifiés d’atteinte sexuelle ou de viol ou autre – qui aurait 15 ans et 1 jour ou 17 ans trois quart. Eux, ne bénéficieront ni de l’allongement de cette peine, ni de la question subsidiaire. Car, on le sait, même si le mariage n’est plus autorisé pour un mineur de moins de 18 ans, la qualification de viol sur un mineur ainsi que la qualification d’atteinte sexuelle sur un mineur doivent maintenir la distinction : avant 15 ans et après 15 ans…. dixit le Conseil d’Etat :

« L’âge de 15 ans, qui était jusqu’à très récemment celui de l’âge nubile, c’est-à-dire l’âge
minimum de la femme fixé par la loi pour se marier, est déjà pris en compte par la loi pénale pour définir certaines infractions (comme, par exemple, l’atteinte sexuelle sur mineurs de quinze ans à l’article 227-25 du code pénal) ou aggraver les peines (dans le cas général des violences, mais aussi plus particulièrement des agressions sexuelles). Il est utilisé par le législateur dans d’autres matières : c’est ainsi, par exemple, que la loi du 6 octobre 2016 pour une République numérique l’a retenu pour déterminer l’âge permettant à un mineur de s’opposer à l’accès par ses représentants légaux aux données personnelles le concernant dans les fichiers de recherche médicale. Même si d’autres repères existent, y compris dans la législation pénale (10, 13 ou 16 ans pour respectivement permettre au juge de prononcer une sanction éducative ou pénale à l’encontre d’un mineur auteur d’une infraction, pour permettre son placement en garde à vue ou pour écarter l’atténuation de sa responsabilité pénale) ou en matière civile (13 ans pour exiger le consentement du mineur à son adoption simple, 16 ans pour disposer de ses biens à titre gratuit), la cohérence du seuil de quinze ans avec l’objectif poursuivi par les dispositions pénales envisagées est difficilement contestable en droit. La mission pluridisciplinaire mise en place par le Premier ministre explique, dans le rapport
qu’elle a remis le 1er mars 2018, avoir été sensible aux données apportées par le développement des recherches dans le domaine des neurosciences. Celles-ci démontreraient que l’adolescent mérite, jusqu’à l’âge de 15 ou 16 ans, une protection renforcée en raison des traces profondes provoquées par les traumatismes sexuels sur la structure et le fonctionnement du cerveau. Elle fait valoir également que l’âge moyen du premier rapport sexuel chez les adolescents se situe à 17 ans et que cet âge a tendu à se stabiliser depuis une trentaine d’années. Ces considérations scientifiques et sociétales paraissent suffisamment convaincantes pour admettre, dans le présent avis, la proportionnalité du choix opéré par le Gouvernement dans l’exercice du large pouvoir d’appréciation dont il dispose. » En conséquence de quoi, « le Conseil d’Etat estime que, faute d’éléments déterminants dans un sens ou dans un autre, le seuil de quinze ans constitue, parmi d’autres solutions qui auraient pu être envisagées (certains acteurs ont, par exemple, évoqué l’âge de 13 ans), une option qui ne se heurte à aucun obstacle juridique ».

La formule est belle, rigoureusement écrite et on se dit, tout est parfait. Sauf que, si à 18 ans seulement on est autorisé juridiquement à se marier, pourquoi à partir de 15 ans n’est-on pas protégé contre des relations sexuelles sans son consentement, c’est-à-dire sans contrainte, menace, surprise ou violence ? Ha oui, parce que selon le Conseil d’Etat, « dans l’hypothèse, par exemple, d’une relation sexuelle qui serait librement décidée entre un mineur de 17 ans et demi et une adolescente venant d’avoir 14 ans et qui se poursuivrait de manière habituelle, pendant plusieurs mois au-delà de la première rencontre, – relation licite au regard du code pénal même si elle comporte des actes de pénétration sexuelle –, [cela] conduit à ce que le premier soit, dès ses dix-huit ans et alors que rien ne vient modifier son comportement, passible d’un crime de viol pouvant le renvoyer devant la cour d’assises ». En effet, selon le Conseil d’Etat, et là nous sommes largement ironique … il fut un temps où une fois par ci par là, il aurait été constaté que dans la trés grande majorité des cas, ce sont des adolescents qui sont jugés devant les cours d’assises pour le viol de leur petite amie dans le cadre d’une relation amoureuse…

Le Conseil d’Etat souffre non seulement d’une inconsciente prise en compte de la réalité de l’inceste sur son territoire mais plus encore d’une inconsciente prise en compte du cadre dans lequel les principales violences sexuelles subies par les enfants sont commises !

Aussi, le plus impressionnant est-il dans ce projet et qui montre à quel point notre droit souffre de son archaïsme, est peut être d’avoir osé l’écriture du nouvel article 227-25 du code pénal (combiné à l’article 227-26 du même code) comme suit :

« Hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle, le fait, par un majeur, d’exercer une atteinte sexuelle [avec pénétration sexuelle sur ou avec (par nous rajouté et tiré de l’article 227-26)] un mineur de quinze ans est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende. »

Pour plus de lisibilité, je le réécris tellement cet article est symptomatique et édifiant : « hors le cas de viol, le fait, par un majeur, d’exercer une atteinte sexuelle avec pénétration sur ou avec un mineur de moins de quinze ans est puni de sept ans d’emprisonnement. »

Qu’est-ce donc qu’une atteinte sexuelle avec pénétration si ce n’est un viol ? C’est à dire un acte ou des actes de pénétration sexuelle commis dans un contexte qui montre qu’en effet, l’enfant de 3 ans, ou de 5 ans, ou de 7 ans ou de 10 ans ou de 12, parce qu’il est un enfant, n’a pas pu réfléchir et se demander si il voulait ou non l’acte de pénétration qu’on lui a fait subir ?!

Cet article est symptomatique du déficit de protection dû aux enfants sous couvert de conserver/protéger l’édification juridique existante. Surtout ne pas toucher aux notions de viol, agression sexuelle et atteinte sexuelle. Surtout ne pas risquer d’ébranler la sacro-sainte notion de présomption d’innocence ! Quid de la Convention internationale des Droits de l’Enfant ainsi que des autres textes qui soutiennent l’interdiction des violences sexuelles envers les enfants ?

Cet article du projet n’est ainsi que le pâle reflet de l’incapacité du droit pénal français à protéger comme il se doit les enfants contre les viols, l’inceste et toutes les formes de violences sexuelles exercées à leur encontre.

Il montre l’absurdité des mots du droit, lesquels usés à bon escient et avec bon sens devraient légitimement permettre d’organiser un régime juridique valable et efficient de protection pénale des mineurs contre les violences sexuelles c’est à dire un régime juridique qui colle à la réalité sociétale des violences sexuelles !

Car, ce que l’on sait et qui n’est plus démenti par personne est :

  • qu’1 enfant sur 5 subit des violences sexuelles en France
  • que ces violences sexuelles sont très majoritairement réalisées au sein des familles, par les personnes censées protéger les enfants : papa, tonton etc
  • que trop peu des violences sexuelles subies par les enfants sont dénoncées et font l’objet d’un dépôt de plainte
  • que les enfants victimes de violences sexuelles sont très peu soignés
  • qu’1 auteur de violences sexuelles sur 4 est un mineur et qu’il n’existe aucune disposition juridique qui envisage à proprement parler la question des violences sexuelles entre mineurs
  • que l’absence de dispositifs publics au long court de prévention des violences sexuelles et d’information sur la sexualité nuisent aux capacités d’auto-protection des enfants et de responsabilisation de ceux qui exercent sur eux l’autorité parentale
  • que le retrait de l’autorité parentale des parents incestueux n’est quasiment jamais prononcé
  • que la pornographisation de la société et le laisser faire des autorités politiques en la matière nuisent aux enfants et encouragent les violences sexuelles
  • que la prise en charge réelle, soutenue et sur le long terme des auteurs de violences sexuelles est indispensable pour faire cesser les actes de violences sexuelles et leur reproduction mais quasi inexistante sur le territoire
  • que les violences sexuelles commises à l’encontre des enfants ont des conséquences importantes sur leur état de santé, tout au long de leur vie, qu’elles accroissent le nombre de maladies de tous ordres

On pourrait ajouter à cette liste bien d’autres indicateurs ou informations connues au sujet des violences sexuelles et dont le droit ne veut pas tenir compte, ou devrait-on dire les membres du Conseil d’Etat, du Conseil constitutionnel mais aussi les ministres et certains parlementaires.

En effet, comme l’a rappelé Madame la Secrétaire d’Etat Marlène Schiappa lors des débats du mardi 15 mai : « C’est un travail collectif qui a été mené, avec la chancellerie et le Conseil d’État, dont je rappelle que le rôle, comme son nom l’indique, est de conseiller l’État dans la rédaction de la loi. Il a joué son rôle. Des dizaines d’heures d’auditions, d’échange, de travail ont eu lieu, d’abord au Conseil d’État puis au sein de la commission des lois. Les députés de la commission des lois ont formulé un certain nombre de propositions très fortes pour améliorer ce texte, qui ont été acceptées. La version que nous vous présentons est donc déjà une version améliorée, fruit de dizaines d’heures de travail et, en amont, de mois de concertations. »

Dans son avis, le Conseil d’Etat ré-énonce le discours bien ficelé du droit tel qu’il est et semble devoir se poursuivre. A aucun moment la loi n’interdit stricto-sensu les rapports sexuels entre un majeur et un mineur. Or, ce que la loi n’interdit pas, elle l’autorise.

Bien entendu, il y a des exceptions : le viol. C’est à dire lorsque l’enfant n’était pas consentant. Le principe est donc et reste qu’un majeur et un mineur peuvent entretenir des relations sexuelles sans que le droit ne vienne s’en préoccuper !

Le Conseil d’Etat lui-même explique : « Certes, le projet de loi n’établit pas directement, comme cela avait été évoqué dans des déclarations publiques, une présomption de culpabilité en considérant, sans autre condition, que tout rapport sexuel entre un majeur et un mineur de quinze ans constitue un viol, du fait de l’absence présumée de consentement de la part de ce dernier. Une telle présomption aurait été très difficilement compatible avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, en dehors du champ contraventionnel, lorsque les faits peuvent raisonnablement induire la vraisemblance de l’imputabilité (c’est le cas, par exemple, des infractions au code de la route relevant de cette catégorie), n’admet qu’ « à titre exceptionnel » l’existence d’une présomption de culpabilité en matière répressive. Pour que celle-ci soit jugée constitutionnelle, il faut, d’une part, qu’elle ne revête pas de caractère irréfragable et, d’autre part, qu’elle assure le respect des droits de la défense, c’est-à-dire permette au mis en cause de rapporter la preuve contraire. Ces exigences sont d’autant plus fortes lorsque la présomption est instituée pour un crime (décisions du Conseil constitutionnel n° 99-411 DC du 16 juin 1999, n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, n° 2011-164 QPC du 16 septembre 2011). La même présomption, s’agissant d’un crime, aurait aussi très certainement excédé « les limites raisonnables » dans lesquelles la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales enserre les présomptions de droit ou de fait en matière pénale, compte tenu de la gravité de l’enjeu et de la difficulté en pratique pour le mis en cause de se défendre (CEDH, Salabiaku c/ France, 7 octobre 1988). »

En effet, l’enjeu est important pour l’auteur des violences sexuelles. Si notre droit inscrivait noir sur blanc que les actes de nature sexuelle entre un majeur et un mineur sont interdits, les auteurs risqueraient des peines de prison importantes… On est en mesure de s’interroger ou plutôt de s’interloquer. Car, notre pratique juridictionnelle prouve le contraire. Aussi, si l’article 2 du projet de loi est adopté tel quel, la réalité jurisprudentielle se poursuivra comme suit :

Dans un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation de 2016 rapportant une décision de première instance, on apprend que « M. Michel X… [a été renvoyé] devant le tribunal correctionnel de Limoges pour agressions sexuelles sur mineures de quinze ans, avec cette circonstance que les faits ont été commis par une personne ayant autorité et pour agressions sexuelles sur mineure par personne ayant autorité, comme étant le père de la victime. L’une des filles de l’auteur rapporte les faits alors qu’elle était âgée de six ans. « E… décrivait la scène : « un jour mon père a crié mon nom, je ne comprenais pas. Je pensais que j’avais fait une bêtise, il m’a déshabillée devant ma mère qui semblait stressée, terrifiée et en fait il m’a violée sur le canapé, c’était violent, je criais, je comprenais pas pourquoi une punition » : que Mme Maria Alice C…, mère de E… X… confirmait les déclarations de sa fille : « un jour quand elle avait six ans, il a abusé d’elle devant moi, la seule chose dont je me souvienne c’est de l’avoir vu vouloir rentrer son sexe dans celui de E…. J’étais tétanisée, je ne pouvais pas bouger, j’avais tellement peur de lui, je voulais le faire arrêter mais je n’étais capable de rien… je ne comprenais pas qu’il fasse une telle chose » ». C’est un tribunal correctionnel qui s’est donc prononcé sur les faits vécues par cette enfant sur le fondement d’une agression sexuelle.

La Cour d’appel de Douai, dans un arrêt de 2011 rapporte que « Thierry X… a lui-même indiqué dans la présente procédure qu’en suite de cette information il fut condamné par le tribunal correctionnel d’Arras le 1er décembre 2009 à une peine de 6 années d’emprisonnement ferme [ à la suite de l’ouverture d’une information judiciaire pour des faits de viol sur mineure de 15 ans] ; Attendu que la jeune Graziella actuellement âgée de 9 ans et demi a manifestement connu de sérieuses perturbations s’agissant de faits commis par son propre père sur la personne de sa propre demi-soeur ; Attendu qu’aux termes d’un rapport précis et circonstancié, l’expert a pu constater et décrire l’angoisse de Graziella qui partage la crainte de toute sa famille et la peur de la sortie de prison de son père, qui se montre hyper-vigilante vis à vis d’un danger  » non représentable pour l’instant  » et qui exprime fermement la volonté de ne plus jamais voir un père dont elle a peur et à l’égard duquel elle ressent de la colère ; Attendu que l’expert a pu par ailleurs analyser la personnalité de Thierry X… et constater que celui-ci  » ne reconnaît pas autrui comme une identité à part entière et ne respecte pas les limites entre soi et autrui ni l’intimité psychique, ni la notion d’interdit d’inceste « 

Dans un arrêt de 2007, la Cour d’appel de Douai rapporte que « devant le Tribunal Correctionnel de BOULOGNE SUR MER, Franck X… et Corinne A… étaient tous deux prévenus d’avoir : A Calais, entre avril et novembre 2002, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n’emportant pas prescription, par violence, menace, contrainte ou surprise, commis des atteintes sexuelles sur les personnes de Soulyvan, Britany et Célaine D…, avec cette circonstance que les faits ont été commis sur des mineurs de 15 ans, par une personne ayant autorité sur les victimes ou par ascendant légitime ou naturel ».

« Britany D…, alors âgée de 8 ans et demi, confirmait qu’elle se sentait bien chez son assistante maternelle, Madame L…, à laquelle elle était confiée depuis le mois de février 2001. Elle expliquait qu’elle ne voulait plus retourner chez sa mère et Franck car ils lui  » faisaient mal « . La fillette précisait que Franck venait la chercher dans son lit la nuit pour l’emmener sur le canapé du salon. À cet endroit, il lui glissait la main dans son pantalon de pyjama pour la mettre sur son devant et sur son derrière et même enfoncer un peu son doigt, tout en lui mettant l’autre main sur la bouche pour l’empêcher de crier. Britany ajoutait que Franck lui prenait sa main à elle pour la mettre sur son zizi, qui était gros. Elle indiquait cependant qu’elle n’avait jamais rien vu sortir du zizi de Franck. L’enfant évoquait également un épisode unique au cours duquel Franck s’était allongé sur elle sur le canapé et qu’il avait bougé sur elle avec son zizi. Elle affirmait qu’il avait essayé de mettre son zizi dans son devant, mais qu’il avait renoncé parce qu’elle avait eu mal.

Britany D… accusait enfin son beau-père de faire la même chose à sa petite soeur et à son frère. Elle précisait s’être cachée dans le couloir pour voir ce qu’il faisait avec sa soeur un soir où il était venu la chercher dans son lit pour l’emmener dans le salon et avoir vu Franck mettre un doigt dans le devant de sa soeur. En revanche, elle n’avait rien vu concernant son frère, mais celui-ci lui avait raconté que Franck avait touché son zizi et son derrière.

Soulyvan D…, âgé de 10 ans au moment de son audition, indiquait d’emblée qu’il ne voulait pas retourner chez sa mère parce que celle-ci lui faisait des  » sales manières « . Il précisait que sa mère venait le chercher la nuit pour l’emmener sur le canapé du salon. Il la voyait ensuite se  » frotter  » le sexe et elle lui touchait le zizi. Il accusait également sa mère de lui avoir mis le doigt dans le derrière et de l’avoir vu faire la même chose à ses deux soeurs, Britany et Célaine. En ce qui concerne Franck X…, le jeune garçon affirmait que celui-ci était présent lorsque sa mère le touchait et que son beau-père faisait de même, lui caressant le zizi et lui prenant la main pour la poser sur son sexe. Il ajoutait que Franck mettait son doigt dans son derrière et que ça lui faisait mal. Soulyvan insistait sur le fait qu’il aimait malgré tout sa mère, mais qu’il n’était pas normal qu’elle se conduise ainsi parce qu’une mère devait aimer ses enfants. À l’appui de sa déclaration, Soulyvan établissait un document écrit dans lequel il réitérait ses accusations contre sa mère et ajoutait que celle-ci lui avait demandé de ne rien dire, sinon elle irait en prison.

La jeune Célaine, âgée de 5 ans, déclarait que Franck était méchant avec elle, qu’il venait dans sa chambre alors qu’elle dormait et qu’il lui faisait mal à la pépète et au derrière. Ultérieurement, la fillette accusait également son beau-père de lui avoir mis un bâton dans le derrière et dans la pépète. À la question de savoir ce que faisait sa maman, la fillette répondait qu’elle ne pouvait pas le dire car sa maman lui avait recommandé de ne rien dire, mais elle ajoutait ensuite que sa maman faisait la même chose que Franck et qu’elle pleurait. »

Enfin, et pour conforter le fait que le soutien du gouvernement au délit d’atteinte sexuelle avec pénétration est à contre sens de la réalité des violences sexuelles subies par les enfants en France en 2018, nous citons le jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Perpignan en janvier dernier lors duquel, un beau-père a été jugé pour viols incestueux sur sa belle-fille à compter de l’âge de 13 ans, viols dont 6 enfants sont nés. Sa peine : 3 ans avec sursis.

3 réflexions au sujet de « Émergence d’un délit d’atteinte sexuelle avec pénétration : une nouvelle entrave à la reconnaissance des crimes de viols sur les enfants »

  1. Bonjour,
    Merci pour cet article très intéressant. Vous y indiquez que la prescription sera aussi allongée à trente ans après la majorité pour les délits d’agressions et d’atteintes sexuelles, or, le projet de loi dans son article 1 ne précise un allongement que pour les crimes… Donc les agressions sexuelles et atteintes sexuelles AVEC circonstances aggravantes (y compris l’aberrante « atteinte sexuelle avec pénétration ») n’auront une prescription que de vingt ans après la majorité, et celles sans circonstances aggravantes que de dix ans, selon la loi actuelle, enfin, c’est que j’ai compris. Merci encore !
    Pierre, du RIML

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    1. Bonjour,
      Un grand merci à vous d’avoir pris le temps de lire l’article. J’ai ainsi pu, grâce à votre commentaire, réécrire la partie concernant la prescription. Bien cordialement Jennie Desrutins

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