Réfléchir ensemble

Viols sur mineur.es, l’exercice d’une liberté sexuelle ?

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Depuis quelques jours, les médias font la part belle aux discours autour de la notion de  présomption d’absence de consentement afin de protéger les enfants, les mineur.es contre les violences sexuelles.

On entend qu’il est nécessaire d’inscrire dans la loi, un âge en dessous duquel un.e mineur.e serait considéré.e comme n’ayant pas pu « consentir à un acte sexuel » avec un majeur.

13 ans proposent les uns, 15 ans proposent les autres. On croirait une plaisanterie tant le débat semble oublier que le statut de « mineur » est, dans la loi, en principe là pour protéger.

Pourquoi devrait-il y avoir une exception en matière de violences sexuelles ? Pourquoi un.e enfant devrait être moins protégé.e parce qu’il.elle a entre 13 et 18 ans ?

Pourquoi ne pas tout simplement considérer l’âge de 18 ans comme seuil en dessous duquel un.e mineur.e est considéré.e comme non consentant à un acte sexuel avec un majeur ?

Pourquoi ne pas tout simplement considérer que tout acte sexuel entre un.e mineur.e et un majeur est une violence sexuelle criminelle ?

Pourquoi devrions-nous considérer qu’un.e enfant de 13 ans et demi ou de 15 ans et demi puisse être capable de consentir à un acte sexuel avec un majeur, qu’il ait 20 ans, 35 ans, 42 ans, 55 ans ou encore 63 ans ?

En réalité, l’enjeu qui se cache derrière la notion juridique de consentement telle que consacrée par la définition juridique du viol est le respect de la liberté sexuelle des majeurs.

La jurisprudence considère en effet qu’il n’y a pas respect de la liberté sexuelle de la personne dès lors qu’il y a eu violence sexuelle. Et c’est pourquoi, on recherche le consentement de la personne à l’acte sexuel. Si la personne n’a pas donné son consentement, alors il y a violence sexuelle. Et, c’est à la victime de démontrer qu’elle n’a pas consenti !

C’est à partir de ce postulat qu’a été créée la définition juridique du viol telle qu’on la connait et pour laquelle nous avons déjà expliqué qu’elle a été pensée initialement à l’intention des majeur.es et en aucun cas pour protéger les enfants.

C’est aussi pour cette raison que nous prônons de sortir de la notion juridique de consentement s’agissant des violences sexuelles commises envers les enfants par les majeurs.

Mais, il semble pourtant que les médias et les débats s’acharnent sur la recherche de cet âge limite qui serait comme un bon indicateur, nous laissant croire qu’il protégerait plus qu’à présent les enfants contre les violences sexuelles.

Se laisser ainsi duper revient pourtant à conforter les stratégies des agresseurs : inverser la culpabilité, assurer leur impunité.

« Vous comprenez, elle avait 13 ans et demi, elle n’a pas crié, ni pleuré, ni dit non. J’ai cru qu’elle était consentante. »

« Elle m’a sourit lorsque nous avons parlé. Elle a accepté de me suivre boire un verre. A 15 ans, quand même, on sait à quoi s’en tenir quand un homme, de surcroît de 35 ans, qui vous a accosté en voiture vous fait une telle proposition ».

« ça se voyait pourtant qu’elle aimait ça, elle a même jouit. Je l’ai senti, je l’ai vu. Je vous dis que ce n’est pas un viol, 14 ans et demi tout de même et formée en plus! »

Voici le genre de phrases qui pullulent déjà dans nos tribunaux pour assurer les défenses des violeurs. Pensez-vous qu’elles changeront après une loi modifiant les dispositions pénales et dans laquelle serait inscrit un âge au dessus duquel un.e enfant doit pouvoir « consentir » à un rapport sexuel avec un majeur ? Autrement-dit s’y opposer !?

Alors, voici la question qu’il convient de nous demander : sommes-nous dupes au point de croire qu’il faille inscrire dans la loi l’âge d’un.e enfant au dessus duquel il.elle peut exercer sa pleine et entière liberté sexuelle face à un majeur ?

Ouvrons les yeux ! En matière de protection pénale des mineur.es, la loi n’est pas là pour permettre l’exercice d’une liberté sexuelle octroyée aux enfants afin qu’ils puissent avoir des rapports sexuels avec des majeurs ! La loi doit être là pour poser une limite aux actes de violence qui s’exercent sur le corps et les parties intimes des enfants.

Car c’est bien de cela dont il s’agit. Le viol ne doit pas être considéré comme l’exercice d’une liberté sexuelle – dixit les défenses des agresseurs.

Cessons de croire qu’il existe un pseudo lien entre la sexualité et les violences sexuelles, comme semblent le laisser croire nos lois actuelles, l’hyperpornographie de notre société et son hypersexisme.

Qu’est-ce qu’un viol ? Que laisse croire la stratégie des violeurs ? Elle vise justement à conforter l’idée qu’il puisse y avoir un lien ténu entre les violences sexuelles et la sexualité. C’est justement grâce à cette croyance confortée dans l’imaginaire collectif par l’imposture d’un pseudo « plaisir sexuel » procuré par une sexualité violente et dominatrice que se niche l’envie, la possibilité et le passage à l’acte des violences sexuelles envers les enfants !

Lorsque l’on se positionne du point de vue de l’agresseur, le lien entre le viol et la sexualité est posé. Le viol est pour l’agresseur partie intégrante de sa sexualité. Autrement-dit, sans violence, sans rapport de force, sans domination, sans l’exercice d’un pouvoir sur le corps d’une personne, y compris d’un enfant, le violeur ne peut vivre sa sexualité. Conséquence directe de cela, l’agresseur dans sa stratégie va user d’une mise sous terreur de la victime qui répondra à son propre scénario sexuel. Il pourra agresser en utilisant du matériel pornographie. Il pourra agresser en disant à la victime des phrases terrifiantes. Les violences sexuelles sont devenues pour lui sa sexualité. Alors pour se défendre de ses actes, l’agresseur va bien sûr invoquer le consentement de sa victime. L’enfant n’a pas dit non. Oui, en effet, mais elle n’a pas dit oui non plus. L’enfant semblait aimer cela. L’enfant n’a pas crié. L’enfant n’a pas bougé. L’enfant semblait figé.e mais est repartie comme elle est venue. Voici autant d’arguments qui permettent aux agresseurs actuels de ne pas être inquiétés pour le peu que l’enfant ait réussi à parler et qu’on l’ait protégé.e. On comprend bien en réalité que l’agresseur est ici le seul responsable des violences sexuelles qu’il fait endurer à l’enfant victime et qu’il n’y a aucun consentement de l’enfant à rechercher. Le violeur va agresser l’enfant en le.la dépeignant à l’image dont il a besoin pour parvenir à sa jouissance. A aucun moment, bien évidemment le violeur n’a cherché l’accord de sa victime.

Aussi, lorsque encore aujourd’hui comme cela est inscrit dans la loi, c’est à l’enfant de prouver qu’il.elle n’était pas consentant, qu’il.elle ne voulait pas « avoir de rapport sexuel avec un majeur » et que pour cela, l’enfant devra préciser et avec des mots compréhensibles s’il vous plait ce que le violeur a dit, a fait, comment il a pénétré son corps, combien de temps cela a duré, comment l’enfant est reparti, nous marchons littéralement sur la tête !

Aujourd’hui, ce qu’il y a encore de pire dans notre loi et que les réponses politiques actuelles pour lutter contre la pédocriminalité  n’ont pas compris, c’est qu’en continuant de rechercher la preuve du viol par l’absence de consentement de l’enfant (cf. les circonstances des violences sexuelles détaillées), on en revient à postuler que tout enfant possède une liberté sexuelle qu’il peut exercer librement même face à un majeur !

Alors qu’en réalité, dans toutes les situations de violences sexuelles, l’enfant victime n’a simplement fait ce que qu’il.elle a pu pour survivre à cette abomination, à la destruction d’une partie d’elle-même par le violeur.

Positionné du point de vue de l’enfant victime de violences sexuelles, inceste, viol (ou, devrait-on dire, de violS car dans les faits, il s’agit toujours de multiples viols et autres agressions sexuelles lors de la même agression orchestrée par le violeur), ce que subit l’enfant est une violence exercée sur son corps, dans sa chair. Or, qui voudrait que l’on nuise à ses parties intimes, à son corps ? Qui voudrait subir des violences sexuelles ? Revient-il aux enfants d’assurer le plein exercice de leur liberté sexuelle notamment face à un majeur qui use d’une stratégie agressive ?

Cette dernière questionne sonne littéralement comme un oxymore.

De ce point de vue, on constate que le viol n’a strictement rien à voir avec la sexualité ou l’exercice d’une liberté sexuelle. De surcroît s’agissant des enfants !

Le viol est une domination, une violence, un rapport de pouvoir exercé à l’encontre des parties intimes de l’enfant par le violeur. L’enfant a donc eu à survivre à une agression physique, aux mots, aux odeurs, aux gestes, à la durée des sévices, à l’enfermement psychique dans lequel l’a placé l’agresseur. L’enfant a du trouver au fond de lui-même, d’elle-même suffisamment de force pour survivre malgré ce que le violeur lui a fait endurer. L’une des conséquences directes de ces violences sexuelles, c’est sa mémoire traumatisée, sa mémoire traumatique de l’agression, sa mémoire corporelle traumatisée. Les gestes du violeurs, comme gravés dans sa tête l’ont dépossédé.e de lui-même, d’elle-même, et agissent comme de véritables mines à l’intérieur de son corps et de son esprit. Du coup, ses parties intimes portent en elles l’empreinte de la violence. Et, jamais pour l’enfant, lui.elle, les violences dont lui.elle a été victime n’ont fait partie de « sa sexualité », Jamais, les violences dont il.elle a été victime n’ont été « des rapports sexuels ».

Les violences sexuelles que l’enfant a subies n’ont donc aucun lien avec sa liberté sexuelle ou l’exercice d’une liberté sexuelle.

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La définition juridique du viol devient donc un important enjeu de prévention des violences sexuelles. Y inscrire la notion de consentement ou y laisser un lien avec cette notion s’agissant des enfants, revient à postuler qu’un acte sexuel entre un enfant et un majeur est envisageable et autorisé et que la liberté sexuelle des majeurs est sans limite.

Il s’agit donc de savoir de quel côté on entend se positionner ; de quel côté on entend positionner la loi.

Dans tout mot, dans toute phrase, dans toute définition juridique, il y a un postulat, une idéologie qui est véhiculée. Les phrases et encore plus les définitions juridiques, ne sont pas neutres.

Et pour preuve encore, la définition juridique actuelle du viol nie ce que sont la réalité des violences sexuelles subies par les enfants. En chaque acte de viol, il y a en réalité très souvent une multiplicité d’actes de viols (multiplicité du nombre de pénétrations sexuelles), de même qu’il y a aussi une multiplicité d’agressions sexuelles (le violeur aura probablement touché les fesses, les seins, l’anus, la vulve, le pénis de l’enfant et cela à plusieurs reprises). Le fait que le violeur ait violé à plusieurs reprises, c’est à dire à plusieurs moments ou encore sur une certaine période un enfant n’est pas non plus pris en compte.

Certains pourront toujours dire que cette négation d’une partie de la réalité des violences sexuelles subies est quelque peu corrigée par une peine alourdie ou « adaptée » ou « individualisée » pour autant, le seul exemple de la correctionnalisation des viols et leur nombre édifiant montrent le contraire.

Alors dans ces conditions, il est plus que temps de s’interroger.

Qu’est-ce que la définition juridique du viol postule réellement s’agissant des enfants victimes ? Quelle idéologie sous tend-elle ? Qui protège-t-elle, vraiment ?

Corrélativement, si, si peu de victimes portent plainte, si, si peu d’informations préoccupantes sont faites, n’est-ce pas,

  • parce que le signal envoyé par la loi pour interdire et réprimer les violences sexuelles dont les viols envers les enfants est largement insuffisant ?
  • parce que la loi pénale n’offre pas une vraie protection des enfants ?
  • parce que la loi ne prévient pas par ses mots suffisamment ces violences ?
  • parce que la loi n’est pas du côté des enfants ?
  • parce que la loi donne le droit légal pour un majeur d’avoir des relations sexuelles avec un enfant, autrement dit, d’exercer pour le violeur sa liberté sexuelle sur le corps des enfants ?

Parce que prévenir, c’est comprendre, prévenir les violences sexuelles, c’est dire : s’interroger sur cette définition, la discuter, et la changer, c’est faire acte de prévention.