Réfléchir ensemble

Quand l’enfant consent à son viol … ou ce que la loi ne devrait plus jamais oser dire

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Ce jour, le Haut Conseil à l’Egalité a dénoncé sur sa page Facebook le gros mensonge des lois pénales françaises censées protéger les enfants en matière de viols et agressions sexuelles.

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Voici son propos :

« En dépit d’une plainte pour viol, un homme est aujourd’hui jugé au Tribunal de Pontoise pour « atteinte sexuelle » car le Parquet a estimé que la mineure de 11 ans était consentante.

A l’instar de ce qui existe déjà en Espagne (12 ans),en Angleterre (13 ans), au Danemark (15 ans), en Belgique (14 ans), et dans bien d’autres pays, le Haut Conseil à l’Egalité recommandait en octobre 2016, dans son « Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles » que l’âge de 13 ans soit retenu comme seuil en dessous duquel les mineur.e.s seront présumé.e.s ne pas avoir consenti.

En conséquence, il ne serait plus nécessaire de prouver la violence, la menace, la contrainte ou la surprise et la qualification d’atteinte sexuelle sera écartée au profit de celle d’agression sexuelle, ou de viol s’il y a pénétration. L’âge de 13 ans a été retenu en s’inspirant des exemples des pays énumérés ci-dessus qui ont adopté la présomption d’absence de consentement.« 

Décryptage 

En droit pénal français, un enfant qui a été violé.e, doit comme c’est le cas pour un adulte, prouver qu’il.elle a bien subi un viol.

Cela signifie que l’enfant doit prouver qu’il.elle n’était pas consentant à ce viol.

En termes juridiques, l’enfant doit prouver qu’il.elle a subi un acte de pénétration sexuelle, commis avec violence, contrainte, menace ou surprise.

Cela signifie donc que peu importe l’âge de l’enfant, étant donné que c’est lui.elle la victime, c’est à lui.elle de prouver qu’il.elle n’était pas consentant à l’acte de pénétration sexuelle.

Vous trouverez peut être cela choquant, mais c’est pourtant les termes de notre loi, celle là même qui est censée protéger nos enfants.

Dans un précédent article, nous proposions de faire émerger une présomption de culpabilité dans toutes les situations où un enfant dénoncerait une agression sexuelle ou un viol – c’est à dire qu’il appartiendrait à l’agresseur de prouver qu’il n’a pas agressé ou violé et non plus à l’enfant de prouver qu’il n’était pas consentant à l’agression ou au viol.

Ce jour, le Haut Conseil à l’Egalité, prenant appui sur son Avis rendu le 5 octobre 2017 – Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles – ré-énonce sa proposition concrète : créer une présomption d’absence de consentement dans la loi.

Pour le Haut Conseil, en dessous de 13 ans, aucun enfant ne devrait être considéré comme consentant à un viol.

Pourquoi une telle réaction du Haut Conseil ?

Car, il s’insurge des viols subis par une enfant de 11 ans qui sont jugés par un tribunal correctionnel. Il dénonce une injustice réelle et aberrante : le fait qu’il soit admis qu’un enfant de 11 ans ait pu consentir aux yeux de la loi française à une pénétration sexuelle d’un homme de 28 ans.

C’est l’histoire d’une enfant de 6ème qui, à sa sortie des classes, croise le chemin d’un violeur qui met en oeuvre sa stratégie pour la violer.

Mais comment est-ce possible de dire qu’une enfant a pu consentir à des viols ? 

C’est là que la notion d’atteinte sexuelle entre en scène… La loi tente en effet de protéger malgré tout l’enfant en affirmant que « le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ».

Dans la presse, tous les mots sont employés à tort et à travers. Consentement, contrainte, atteinte sexuelle, viol. On n’y comprend plus rien. Et, pour cause, ces mots sont tirés du langage juridique qui n’a rien à voir avec le langage de la vie de tous les jours.

  • Un agresseur jugé sur le fondement d’un viol

En droit français, un enfant doit prouver qu’il n’a pas été consentant à subir une pénétration sexuelle pour qu’un violeur soit condamné sur le fondement d’un viol. L’enfant doit prouver l’acte de pénétration à proprement parler – la pénétration sexuelle – et qu’il ne voulait pas de cet acte. Pour prouver qu’il ne voulait pas de cet acte, la loi dit qu’il doit prouver qu’il a subi soit des violences, soit des menaces, soit des contraintes, soit la surprise. C’est ce qu’on appelle « l’absence de consentement ».

Le raisonnement est que : lorsque l’on n’a pas été consentant à un viol, c’est forcément qu’on a subi un acte de pénétration sexuelle avec une violence, ou une menace, ou une contrainte ou une surprise.

Et, tous ces mots « violence, menace, contrainte, surprise » ont des définitions juridiques très précises.

Alors, et seulement dans ce cas, l’agresseur est dit violeur car il a commis un crime de viol. Il est donc jugé devant une cour d’assises et il risque les peines de prison maximales.

  • Un agresseur jugé sur le fondement d’une atteinte sexuelle

Si l’enfant n’a pas été « violenté », « menacé », « contraint » ou « surpris » lorsqu’il a subi l’acte de pénétration sexuelle, le juge considère que l’enfant était consentant à cet acte.

Donc, même si il a bien été pénétré sexuellement par l’agresseur alors, dans ce cas, juridiquement, on ne parle plus de viol mais d’atteinte sexuelle.

On considère que l’enfant a été « atteint » sexuellement.

On ne parle plus de viol. Et, donc on ne condamne plus sur le fondement d’un viol. On condamne sur le fondement d’une atteinte sexuelle.

Conséquence directe : le violeur ne subit pas la même peine. Elle est réduite. De même que l’instance qui juge les faits n’est pas la même : c’est un tribunal correctionnel (on passe chacun son tour devant tout le monde à la barre pour dire ce qu’il s’est passé) et non une cour d’assises. Car ce qui est jugé n’est pas un crime mais un délit dans la classification des infractions.

Pourquoi en était-on là ? 

La raison principale de cette situation juridique est que le droit pénal français n’a évolué que très – pour ne pas dire trop – lentement jusqu’à aujourd’hui et que lors de la naissance du premier code pénal, on considérait qu’une pénétration sexuelle sur le corps d’un enfant, un viol, n’était pas possible. Par conséquent, cette pénétration sexuelle n’était pas une infraction sexuelle (voir l’extrait de l’article de Vigarello et Yvorel – in Revue d’histoire de l’enfance irrégulière reproduit ci-après).

L’autre raison principale est aussi que la protection pénale des enfants contre les agresseurs sexuels et les violeurs s’est construite à partir du modèle de protection pénale des majeurs – en particulier du modèle de protection pénale des femmes – contre les agresseurs sexuels et les violeurs ; lequel n’est toujours pas efficient à ce jour.

La loi ne tient donc toujours pas compte de la nécessité d’offrir aux enfants une protection pénale effective et renforcée contre toutes les formes de violences sexuelles.

Quand la loi change-t-elle ? 

La loi n’évolue que lorsque l’on considère que la société est prête pour qu’elle évolue… C’est ce levier qui fait que par exemple, nous n’avons pu que récemment faire évoluer la prescription des viols.

Autrement-dit, il faut qu’un corpus suffisamment important de personnes se mobilise, agisse, milite et s’offusque et s’oppose pour que la loi change. Sinon, il faut patienter.

Convaincu.e qu’il faut se mobiliser ou à tout le moins prévenir ?

Consulter également sur ce sujet :

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Petite histoire des violences sexuelles envers les enfants – Extrait de l’article de Vigarello et Yvorel :

« même si les violences sexuelles à l’égard des enfants commencent à être prises en compte au XVIIIe siècle, c’est principalement au XIXe siècle qu’elles acquirent une spécificité et que la tolérance dont elles ont bénéficié recule. […] Nous pouvons prendre comme fil conducteur la réflexion et l’élaboration juridique. Le code pénal de 1810 est un moment clef de ce processus. Il institue en effet un nouveau crime : les violences exercées sur une personne « avec l’intention d’offenser sa pudeur ». Nouveau barreau dans l’échelle des crimes et des délits, l’attentat à la pudeur permet que des gestes, qui jusque-là n’étaient pas relevés par la loi, deviennent punissables ; et les enfants sont directement concernés par cette nouvelle incrimination ? Oui, car si la victime est un enfant, alors même que la défloraison est attestée, le terme d’attentat à la pudeur l’emporte généralement sur celui de viol. Comment expliquer ce choix des mots ? La jurisprudence des premières décennies du XIXe siècle montre que médecins experts et juges estiment que la disproportion entre les organes sexuels d’un adulte et ceux d’un enfant rend impossible l’intromission du membre viril. Comme le modèle du viol reste l’accomplissement violent d’un acte sexuel complet avec son risque d’enfantement, pour les hommes de ce premier XIXe siècle, le viol sur un enfant n’existe pas. Cette position sous-entend aussi que les magistrats et les tribunaux adoptent la perspective de l’auteur ; le viol est défini par la jouissance « normale » de l’assaillant et non par le ressenti de la victime. En évitant le mot viol, l’acte paraît moins grave. Ce triomphe de l’euphémisme se traduit-il par une moindre sévérité ? Par rapport à aujourd’hui, cet euphémisme traduit une façon différente de tolérer et de définir la souffrance de l’enfant mais il n’exclut pas une certaine sévérité ».