Réfléchir ensemble

La coercition affective est une violence sexuelle

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Les enfants doivent-ils aimer leurs parents ? Doivent-ils le leur montrer ? Le leur démontrer ? S’il est essentiel qu’un enfant reçoive de l’affection de la part de ses parents, doit-il pour autant le leur en donner ? De manière systématique ?

Dans bien des situations du quotidien, les enfants sont pressés d’agir comme les parents, les adultes le souhaitent et y compris s’agissant de l’action de porter de l’affection. Or, que justifie cette obligation ? Cette contrainte ? Pourquoi un enfant devrait-il embrasser systématiquement le matin ses parents ? Ou lorsqu’ils s’en vont dans des endroits différents ? Existe-t-il une limite à ne pas franchir lorsque l’on éduque ses enfants s’agissant de l’affection qu’on attend d’eux ? Ou doivent-ils se plier nécessairement à nos souhaits ? Doit-on attendre d’eux de recevoir de l’affection lorsque bon nous semble ?

Si bien souvent, les enfants adressent naturellement des marques d’affection à leurs parents : baisers, caresses, câlins ; pour autant, sont-ils réellement libres d’agir à leur guise et selon leurs ressentis en la matière ?

Lorsque l’affection devient coercitive, elle contraint l’autre. Elle lui nuit donc par essence dans la mesure où elle ne respecte pas le choix de l’autre, ses ressentis, sa volonté, sa liberté d’agir à sa guise à l’instant t.

 « fais moi plaisir » ou la coercition affective : violence éducative ordinaire

Cette simple phrase est largement présente dans le jargon employé par nombre de parents. « Pourquoi ne me fais-tu pas plaisir ? Tu exagères, tu pourrais me faire plaisir quand même ! Allez, tu fais ce que je te dis, fais moi plaisir ! Fais donc plaisir à papa, à maman, à papy, à mamie, à ton frère, à ta soeur ! Allez un peu d’entrain ! Arrête de me gâcher mon plaisir, tu te conduis comme un.e imbécile ! »

Si les conduites attendues des enfants peuvent faire plaisir, pour autant, dès lors qu’il s’agit de contraindre l’enfant à agir pour la satisfaction du plaisir d’un autre, parent, membre de la famille, ami, on apprend à son enfant qu’il doit répondre aux besoins des autres et en particulier à leur satisfaction.

Faire plaisir est alors non seulement une obligation mais bien plus encore un moyen de faire pression sur l’enfant pour qu’il agisse comme on le souhaite. Ce moyen de coercition est ainsi comme d’autres une véritable violence éducative ordinaire dont est victime l’enfant dans la mesure où il vise à le convaincre que c’est normal de satisfaire ainsi par ses mots, gestes ou attitudes le besoin de plaisir et de satisfaction d’autrui.

Or, toute violence a un impact psychotraumatique majeur.

Muriel Salmona, dans son dernier ouvrage Châtiments corporels et violences éducatives, nous explique que « la violence, par ses impacts psychotraumatiques, a un très fort pouvoir colonisateur et d’emprise par l’intermédiaire de la mémoire traumatique. Elle est également paralysante et dissociante pour l’enfant qui en est victime, le déconnectant de ses émotions. Et elle est, pour le parent violent, un outil de domination et une drogue anesthésiante. La violence est un formidable outil pour soumettre et pour instrumentaliser des victimes dans le but de s’anesthésier. L’impact psychotraumatique des violences est dû à la mise en place, par le cerveau, de mécanismes neurobiologiques de sauvegarde pour échapper au risque neurologique que fait courir un stress extrême, auquel sont particulièrement sensibles les enfants. » Et, conséquence directe de ces violences, celles-ci « dénaturent la parentalité« .

Alors qu’être parent, c’est avant tout, subvenir aux besoins multiples de son enfant dans le respect de sa personne, l’injonction affective pervertit la relation parent/enfant. Et, plus grave encore, elle peut instaurer de véritables violences sexuelles répétées.

« fais tout de suite un bisou » ou la coercition affective : violence sexuelle éducative ordinaire

Dans l’un de nos précédents articles « Reconnaître la violence sexuelle éducative ordinaire » nous expliquions qu’il est des pratiques éducatives qui nuisent à l’enfant dans la mesure où elles ne respectent pas l’intégrité physique et corporelle de l’enfant. Ces pratiques, véritables effractions dans l’intimité de l’enfant tant dans l’intégrité de ses parties intimes que de ses sentiments intimes, sont de véritables violences sexuelles auxquelles il convient de mettre un terme définitivement tellement elles sont destructrices pour l’enfant.

Parmi ces violences sexuelles éducatives ordinaires, nous avions notamment cité l’exemple de l’obligation qui incombe à un enfant d’embrasser quelqu’un. « Dis bonjour à papy ! Et tu lui fais un bisou ! Retire ta main et tu embrasses tout de suite ta grand-mère ! Tu as tapé ton frère, tu vas immédiatement lui faire un bisou ! ».

Outre le fait que la coercition affective est une violence éducative ordinaire, elle peut aussi dans bien des cas être une violence sexuelle éducative ordinaire. Il s’agit de toutes ces situations dans lesquelles il est demandé à un enfant de toucher avec l’une des parties de son corps le corps d’autrui sans que l’enfant n’ait pu rien dire, ni s’opposer et cela notamment avec les parties de son corps qui lui sont intimes. Or, la bouche, sa bouche et ses lèvres lui sont d’autant plus intimes, comme d’autres parties de son corps, que progressivement en grandissant l’enfant découvrira qu’il peut donner de l’affection au moyen de celles-ci. Aussi, être forcé dès le plus jeune âge à mobiliser ses parties corporelles intimes alors même qu’elles ne devraient être mobilisées par lui que s’il en a le désir, vient troubler et déconstruire le rapport de respect à autrui qui permet de vivre dans une société où chacun est respecté. Obliger son enfant à embrasser revient à le déposséder d’une partie de son corps et de par la répétition de cette coercition à le déposséder de sa capacité à décider à qui il souhaite donner de l’affection.

Consécutivement, dans les relations amoureuses, l’enfant qui a été contraint à embrasser ne saura peut être pas comment refuser d’embrasser quelqu’un qui l’y contraint. A la phrase « embrasse-moi » il. elle ne pourra se défendre et oser dire : « non, je n’en ai pas envie ». Puis, en grandissant encore, l’enfant ainsi violenté.e pourra se sentir  encore plus démuni.e lorsqu’on lui imposera des pratiques sexuelles non consentie et utilisant sa bouche.

La prévention des violences sexuelles impose de prévenir également les violences sexuelles éducatives ordinaires. Or, pour cela, il est indispensable de reconnaître que « être obligé.e de faire plaisir à maman » et « être obligé.e de faire un bisou à papa » sont des violences quotidiennes qui déconstruisent la capacité d’auto-protection des enfants face aux prédateurs sexuels.

Jocelyne Robert, dans son ouvrage « Te laisse pas faire ! Les abus sexuels expliqués aux enfants » nous explique que les parents ont un code éducatif à repenser et elle interpelle : « quand vous vous baladez en ville, trouveriez-vous agréable qu’un inconnu vienne vous caresser les cheveux ? Qu’au travail, votre supérieur insiste pour que vous l’embrassiez parce qu’il a eu une attention pour vous ? Certes pas ! Combien de fois les enfants sont-ils touchés, cajolés ou pris dans les bras alors qu’ils ne le souhaitent pas ? Pour être capable de se protéger des abus sexuels, l’enfant doit être conscient de lui-même, de son droit et de sa capacité de dire non. L’enfant doit décider lui même des gestes affectueux qu’il prodigue ou accueille« .

Agnès Dutheil, dans son ouvrage « La psychologie positive avec les enfants » nous explique « aimer son enfant, ce n’est pas le réduire à ce que j’aimerais qu’il soit ou qu’il fasse, pour me renvoyer une image flatteuse de moi-même. Aimer son enfant d’un amour inconditionnel, c’est l’accepter pour ce qu’il est, sans attendre d’être aimé en retour. »

Plus largement, dès lors que l’amour que l’on porte à son enfant lui nuit, il est indispensable de s’interroger sur sa conduite.

L’inceste, tel que définit par l’AIVI, se caractérise par un abus de pouvoir, un abus de confiance, une trahison de la part d’un proche sur un enfant. Les liens qui les unissent sont de l’ordre de la dépendance affective. L’agresseur implique la victime dans un conflit de loyauté. Le parent agresseur crée une confusion dans l’esprit de l’enfant entre amour et sexualité.

L’affection que doit porter l’enfant envers lui devient une véritable coercition affective. L’enfant est obligé.e d’aimer d’une certaine façon à la fois ce parent agresseur mais aussi d’autres personnes pour lesquels l’enfant n’a aucun élan d’affection. Si dans certains cas, l’agresseur a de réelles attitudes perverses envers l’enfant, il se peut que parfois cette perversion soit littéralement noyée dans une volonté de choyer l’enfant.

Or, si ce qui ne nuit pas laisse libre, quelle liberté a alors cet enfant de ne pas agir comme on le lui demande ?

Si l’affection qu’on porte à un enfant est indispensable à son bien être et à son développement, la coercition affective le déconstruit dans sa personne et le soumet aux désirs d’autrui.

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